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bourgeois, et qu’on leur interdisait les réunions sur la place publique. C’est dans ces foyers des libertés municipales que se formèrent les écoles laïques d’artistes, et le jour où elles furent assez fortes pour travailler sans recourir à l’enseignement monastique, les évêques, croyant trouver là le pivot de leurs projets contre la puissance des abbayes et de la féodalité laïque, s’adressèrent à ces écoles pour bâtir le monument de la cité, la cathédrale[1]. Qui donc alors aurait pu apprécier le travail intellectuel, le développement d’art qui s’était fait dans ces conciliabules de bourgeois, artistes et artisans ? Ils s’étaient instruits dans l’ombre ; quand ils édifièrent au grand jour, leurs monuments étaient des mystères pour tous, excepté pour eux : et de même que dans l’œuvre individuelle le style ne se montre que si l’artiste vit en dehors du monde, dans une expression générale d’art le style est comme le parfum d’un état primitif des esprits ou d’une concentration d’idées, de tendances appartenant à une classe de citoyens qui ont su se créer un monde à part[2].

L’école qui, prenant un parti absolu, établit tout d’abord les fondements de son art sur des lois d’équilibre jusqu’alors inappliquées à l’architecture, sur la géométrie, sur l’observation des phénomènes naturels ; qui procède par voie de cristallisation, pour ainsi dire ; qui ne s’écarte pas un instant de la logique ; qui, voulant substituer des principes à des traditions, va étudier la flore des champs avec un soin minutieux, pour en tirer une ornementation qui lui appartienne ; qui, de la flore et même de la faune, arrive, par l’application de son procédé logique, à former un organisme de pierre possédant ses lois tout comme l’organisme naturel ; cette école n’avait pas à se préoccuper du style, puisque les méthodes étaient, alors comme toujours, celles qui, développées, sont l’essence même du style. En effet, le jour où l’artiste cherche le style, c’est que le style n’est plus dans l’art. Il est mieux de se prendre à un art qui, par lui-même, par sa constitution, est imprégné du style ; et toutes fois qu’une architecture est logique, vraie, soumise à un principe dont elle ne s’écarte pas un instant, qu’elle est la conséquence absolue, rigoureuse de ce principe, si médiocre que soit l’artiste, l’œuvre a toujours du style, et cette architecture demeure, dans les siècles futurs, un sujet d’admiration pour les uns, mais de comparaison importune pour les autres. Est-ce bien aussi à ce dernier sentiment qu’il faut rapporter la réprobation sous laquelle

  1. Voyez, à l’article Cathédrale, l’historique de la construction de ces édifices pendant les XIIe et XIIIe siècles.
  2. Il n’y a point d’exemple qu’un artiste ait mis dans ses œuvres ce qu’on appelle le style, et ait en même temps vécu de la vie du monde dans l’état social compliqué et diffus de nos sociétés modernes. Il y a dans le style quelque chose d’âpre qui est bientôt adouci et délayé au contact du monde, tel que les temps nous l’ont fait. Aussi la qualité qui manque aux œuvres d’art, souvent très-remarquables, de notre époque, c’est le style. C’est la manière qui le remplace ; et l’un prend souvent, même parmi les artistes, la manière pour le style.