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seigneurs féodaux ne devaient qu’un service limité, quarante jours en moyenne ; on ne pouvait entreprendre avec ces corps armés que des expéditions passagères, des coups de main, et cela explique comment la féodalité crut, dès le XIe siècle, être invincible dans ses châteaux. Il fallait des armées pour attaquer et prendre ces places. Il n’y a pas d’armées où il n’y a pas de peuple ; alors le fait ni le mot n’existaient. Les rois de France eux-mêmes, autant qu’on peut donner ce nom aux chefs qui, sur le territoire des Gaules, étaient reconnus comme suzerains par de nombreux vassaux, depuis les Carlovingiens jusqu’à Philippe-Auguste, n’avaient point d’armées permanentes et ne pouvaient entreprendre des sièges longs. Toutes les questions de guerre ne se vidaient jamais d’une manière définitive, et, l’expédition commencée sous les auspices les plus favorables était réduite bientôt à néant par l’abandon de ces grands vassaux, qui ne pouvaient retenir les hommes conduits par eux, sous leurs bannières, passé un certain délai.

Les croisades, entre autres résultats considérables, furent certainement le premier point d’appui de la monarchie française, pour réduire la féodalité sous sa domination. En Syrie, on prit l’habitude de la guerre longue ; les rapports avec Byzance mirent les armées occidentales en possession des moyens d’attaque employés par les armées romaines. Aussi est-ce au retour de ces expéditions, fussent-elles même malheureuses, que nous voyons en Occident l’art des sièges pratiqué par les suzerains, prendre une consistance, s’attaquer à la féodalité pour la réduire peu à peu, château par château, et cela depuis Philippe-Auguste jusqu’à Louis XI.

C’est à dater des premières croisades que l’attaque des places fortes se fait d’après certaines règles, méthodiquement ; mais en même temps l’art de la fortification se développe, et atteint, en France, une perfection extraordinaire.

Si l’on compare nos fortifications de la fin du XIIe siècle et du commencement du XIIIe, avec celles qui furent élevées à la même époque en Italie, en Allemagne, en Angleterre, on ne peut méconnaître la supériorité des fortifications françaises. Cette supériorité de la défense n’était que la conséquence de la supériorité de l’attaque. C’est qu’en effet, le gros des armées des croisés était composé principalement alors de Français, c’est-à-dire des contingents fournis par le Brabant, les Flandres, l’Île-de-France, la Picardie, la Normandie, l’Anjou, le Poitou, le Berry, la Guyenne, l’Auvergne, la Bourgogne, le Lyonnais, la Provence, le Languedoc et la Champagne. Ce sont ces armées de croisés qui, au retour, sont employées à des guerres sérieuses, longues, à des sièges difficiles. Ce sont les troupes de Philippe-Auguste, celles de Simon de Montfort, plus tard celles de saint Louis.

En Syrie, ces armées emploient des ingénieurs lombards, génois et grecs, qui avaient conservé et même perfectionné les traditions des armées romaines. Bientôt, par suite de cette faculté particulière aux peuples de