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or, l’allure d’une figure nue et d’une figure vêtue n’est pas la même, et nous ne voyons que trop, depuis le commencement du siècle, à quels résultats fâcheux nos sculpteurs sont arrivés en concevant une figure vêtue comme une figure nue, ou plutôt en cherchant à habiller un Apollon ou un Antinoüs antique : rien n’est plus gauche. Il y a, dans le port d’un personnage nu et habitué à se mouvoir sans vêtements, une grâce étrangère à celle qui convient au personnage vêtu. Les anciens savaient cela, aussi ont-ils donné à leurs figures habillées d’autres mouvements, d’autres gestes que ceux dont ils savaient si bien doter leurs figures nues. Faute d’observer ces lois, on nous donne souvent des statues qui ont l’air de portefaix habillés en généraux, ou tout au moins qui paraissent fort gênées dans leurs vêtements d’emprunt ; et ce n’est pas l’éternel manteau dont on drape le maréchal de France comme le savant ou le poëte qui peut dissimuler ce défaut de convenances.

Nos sculpteurs du moyen âge prennent donc résolûment leur parti de faire des figures vêtues ; ils leur donnent les mouvements, les gestes familiers aux gens habitués à porter tel ou tel habit. Aussi les vêtements de leurs statues ont-ils l’air de tenir à leur corps et ne paraissent point empruntés au costumier. Les nombreuses statues des tombeaux déposés à Saint-Denis, des XIIIe et XIVe siècles, parmi lesquelles nous citerons celles de Louis et de Philippe, fils et frère de saint Louis, celles de Philippe le Hardi, d’un comte d’Évreux, de Charles V et de Jeanne de Bourbon, provenant du portail des Célestins ; les statues du tympan intérieur de la façade occidentale de la cathédrale de Reims, celles du portail des Libraires à la cathédrale de Rouen, bien que déjà empreintes de la manière affectée qui fait regretter le grand style du XIIIe siècle, sont des œuvres supérieures comme caractère, comme beauté d’ajustement et comme exécution. Dans la statuaire du tour du chœur de la cathédrale de Paris, on trouve également quantité de très-bonnes figures, petite nature, qui datent du commencement du XIVe siècle. Les calamités qui affligèrent le royaume de France pendant tout le milieu de ce siècle ne permirent guère de s’occuper d’art et cependant les écoles ne laissaient point perdre leur enseignement, puisque nous les voyons reprendre un nouvel éclat vers la fin du règne de Charles V. Ce prince, réellement amateur des arts, les encourageant par le choix plutôt que par la quantité, fit élever d’assez importantes constructions dont la sculpture, — autant qu’on en peut juger par ce qui nous reste, — est fort bonne. Ce fut sous le règne de ce prince que l’on éleva, au côté nord de la tour septentrionale du portail de la cathédrale d’Amiens, un gros contre-fort très-orné et très-pesant, destiné à arrêter les mouvements d’oscillation qui se produisaient dans cette tour lorsqu’on sonnait les grosses cloches. Sur les parois de ce contre-fort sont posées sept statues colossales religieuses et historiques, d’un beau travail. Ces statues représentent : la sainte Vierge, saint Jean-Baptiste, Charles V ; le Dauphin, depuis Charles VI ; Louis d’Orléans ; le cardinal de la Grange, évêque d’Amiens, surintendant des