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veloppant ses rameaux en raison de sa nature propre. Le régime féodal n’avait ni académies, ni conseils des bâtiments civils, ni comités protecteurs des arts ; il ne donnait ni récompenses, ni médailles ; il ne s’inquiétait point de savoir si, dans ses domaines, on apprenait le dessin, si l’on modelait la terre et si l’on sculptait le bois ; il n’avait ni musées ni écoles spéciales, et l’art vivait partout, florissait partout. Dès que le despotisme unique de Louis XIV se substitue à l’arbitraire féodal, dès que le gouvernement du grand roi prétend régenter l’art comme toutes choses, former un critérium du goût, l’art se range, se met au régime et n’est bientôt plus qu’un moribond dont on entretient la vie à grand’peine avec force médicaments et réconfortants, sans pouvoir un seul jour lui rendre jeunesse et santé.

La puissance productive de l’art au XIIIe siècle, et particulièrement de la sculpture, tient du prodige. Après les guerres du XVe siècle, après les luttes religieuses, après les démolitions dues aux XVIIe et XVIIIe siècles, après les dévastations de la fin du dernier siècle, après l’abandon et l’incurie, après les bandes noires, il nous reste encore en France plus d’exemples de statuaire du moyen âge qu’il ne s’en trouve dans l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne réunies[1].

Au commencement du XIIe siècle, la bonne statuaire est d’une valeur incomparable, mais faut-il encore la chercher. Les grandes écoles se forment, et leurs rameaux ne s’étendent pas bien loin. À dater du milieu du XIIIe siècle, les œuvres remarquables abondent ; un monde d’artistes s’est constitué, les écoles tendent à se fondre dans une unité de méthode, et de pauvres églises, des maisons, des châteaux de petite apparence, contiennent parfois des ouvrages de sculpture d’une excellente exécution, d’un style irréprochable. Ces artistes étaient donc répandus partout, et la sculpture semblait être un art de première nécessité. À ce moment du développement de l’art sculptural, l’exécution atteint un haut degré de perfection. Que l’on examine la statuaire et la sculpture d’ornement de la sainte Chapelle du palais, de la porte sud du transsept de l’église abbatiale de Saint-Denis, les parties inférieures du portail de droite de la cathédrale d’Auxerre, les portes nord et sud de Notre-Dame de Paris, la sculpture des portails de Reims et d’Amiens, on pourra se faire une idée du développement que prenait l’art sous le règne de Louis IX. Jamais l’observation de la nature ne fut poussée plus loin. Au milieu de tant d’œuvres, il est difficile de choisir un exemple.

Cependant nous présentons ici une des statues du portail occidental de Saint-Étienne d’Auxerre[2] (fig. 67). C’est une Bethsabée assise aux côtés de David. La tête et les mains ont été brisées. On n’a jamais mieux

  1. Remarquons encore ici que, dans nos musées de Paris ou de province, dans nos écoles, il n’y a pas un seul moulage de cette statuaire pouvant servir à l’enseignement ; et c’est nous qui sommes les gens exclusifs !
  2. Porte de droite, dont la partie inférieure date de 1250 à 1260.