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Saint-Denis, avec des bas-reliefs provenant des tombeaux de Philippe et de Louis, frère et fils de saint Louis, avec des mascarons provenant de la chapelle de la Vierge de Saint-Germain des Prés, et deux statues du commencement du XIVe siècle. C’est ainsi que les statues de Charles V et de Jeanne de Bourbon, provenant du tombeau de Saint-Denis, étaient posées sur des boiseries du XVIe siècle arrachées à la chapelle du château de Gaillon, et surmontées d’un édicule de la fin du XIIIe siècle ; que la salle dite du XIVe siècle était décorée avec une arcature provenant du jubé de la sainte Chapelle et les statues du XIIIe siècle adossées aux piliers du même édifice ; que faute d’un Louis IX et d’une Marguerite de Provence, les statues de Charles V et de Jeanne de Bourbon, qui autrefois décoraient le portail des Célestins, à Paris, avaient été baptisées du nom du saint roi et de sa femme[1]. Le Musée des monuments français ayant été détruit en 1816, la confusion ne fit que s’accroître parmi tant de monuments, transférés la plupart à Saint-Denis.

Par la volonté de l’empereur Napoléon Ier, qui en toute chose devançait son temps, et qui comprenait l’importance des restaurations, cette église de Saint-Denis était destinée, non-seulement à servir de sépulture à la nouvelle dynastie, mais à offrir une sorte de spécimen des progrès de l’art du XIIIe au XVIe siècle en France. Des fonds furent affectés par l’empereur à cette restauration, mais l’effet répondit si peu à son attente dès les premiers travaux, que l’architecte alors chargé de la direction de l’œuvre, dut essuyer des reproches assez vifs de la part du souverain, et en fut affecté au point, dit-on, d’en mourir de regret.

Cette malheureuse église de Saint-Denis fut comme le cadavre sur lequel s’exercèrent les premiers artistes entrant dans la voie des restaurations. Pendant trente ans elle subit toutes les mutilations possibles, si bien que sa solidité étant compromise, après des dépenses considérables et après que ses dispositions anciennes avaient été modifiées, tous les beaux monuments qu’elle contient, bouleversés, il fallut cesser cette coûteuse expérience et en revenir au programme posé par la commission des monuments historiques en fait de restauration.

Il est temps d’expliquer ce programme, suivi aujourd’hui en Angleterre et en Allemagne, qui nous avaient devancés dans la voie des études théoriques des arts anciens, accepté en Italie et en Espagne, qui prétendent à leur tour introduire la critique dans la conservation de leurs vieux monuments.

Ce programme admet tout d’abord en principe que chaque édifice ou chaque partie d’un édifice doivent être restaurés dans le style qui leur appartient, non-seulement comme apparence, mais comme structure. Il est peu d’édifices qui, pendant le moyen âge surtout, aient été bâtis d’un seul jet, ou, s’ils l’ont été, qui n’aient subi des modifications notables,

  1. Cette substitution fut cause que, depuis lors, presque tous les peintres ou sculpteurs chargés de représenter ces personnages donnèrent à saint Louis le masque de Charles V.