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dans leur ornementation que leurs devanciers[1], quand ils croient nécessaire d’en composer, ils savent leur donner une physionomie individuelle, à ce point qu’on est tout disposé à les croire copiés sur la nature, bien qu’ils appartiennent, le plus habituellement, au règne fantastique.

Pour nous, l’apogée de la sculpture d’ornement comme de la statuaire du moyen âge, se trouve placé à ce moment où la tradition romane a disparu, et où la recherche de la réalité n’a pas encore imposé ses exigences. Cette période brillante de l’école française dure vingt-cinq ans environ, de 1190 à 1215. C’est l’époque de la construction de la nef et de la partie inférieure de la façade de Notre-Dame de Paris, de la cathédrale de Laon, de l’œuvre basse du chœur de la cathédrale de Rouen, d’une partie de celle de Lisieux, des chœurs des églises abbatiales de Saint-Remi de Reims, de Saint-Leu d’Esserent, d’Eu, de Vézelay, etc.

Il y eut en effet, à ce moment, un développement d’art merveilleux. La nouvelle école étendait son influence dans toute la partie de la France au nord de la Loire, de la Bourgogne et du Nivernais aux confins du Maine. Mais, cependant, chaque province conservait quelque chose de son originalité. La sculpture décorative, tout en suivant une impulsion générale, se développait suivant les aptitudes particulières à chaque contrée. Large, plantureuse dans l’Île-de-France, énergique et serrée en Bourgogne, la sculpture était délicate et recherchée dans le Maine et la Normandie. Ces beaux ornements qui proviennent de la cathédrale de Lisieux (fig. 56) révèlent le goût délicat qui régnait alors au sein de ces dernières provinces[2]. La sculpture d’ornement inclinait vers l’orfèvrerie, et malgré la beauté de l’exécution, manquait, dans ces contrées, de la largeur de style et de la belle entente de l’effet que nous trouvons dans la sculpture de l’Île-de-France. L’inspiration sur la nature est moins, franche, moins hardie, et surtout beaucoup moins originale. Ces aptitudes diverses devaient persister bien plus tard, et jamais la sculpture de la Normandie, du Maine et de l’Anjou n’atteignit l’ampleur de celle des cathédrales de Paris, de Laon et d’Amiens ; elle conserva une recherche dans les détails, une maigreur qui, au XIVe siècle, dégénèrent en sécheresse. En Bourgogne, au contraire, la sculpture d’ornement, en avançant dans l’imitation plus réelle de la flore, arrive jusqu’à l’exagération ; l’ornement semble déborder, ne pouvoir se maintenir dans les limites posées par l’architecture. Hors d’échelle souvent, son importance nuit à l’ensemble. Il faut donc en revenir toujours à ce centre d’écoles qui se développait dans l’Île-de-France, pour trouver cette juste et sage mesure qui est la marque d’un goût éclairé et d’un jugement sûr. Ce n’est pas

  1. Il n’existe pas une seule représentation d’animal dans les chapiteaux de Notre-Dame de Paris, bien qu’à cette époque (seconde moitié du XIIe siècle), on en sculptât encore dans beaucoup d’autres édifices.
  2. Nous devons les dessins de ces fragments à l’obligeance de M. Sauvageol.