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lées et modelées comme la sculpture gréco-romaine, par deux plans secs, le style innaturel de ces feuilles ; tout cela rappelle encore la sculpture des chapiteaux du chœur de Saint-Martin des Champs, dont les piliers datent de 1130[1].

Mais si nous portons toute notre attention sur le deuxième fragment (fig. 52), on y trouve déjà ce style que nous avons vu adopter dans les reprises de la salle capitulaire de Vézelay en 1160. Même imitation, quoique plus archaïque, de la feuille d’ancolie, mêmes découpures arrondies, même modelé, tantôt en saillie, pour exprimer les revers, tantôt en spatule, pour exprimer le dedans des feuilles[2]. Les tiges ne sont plus, comme celles de l’exemple précédent, côtelées régulièrement, mais sont nervées en longues spirales, ce qui indique une étude attentive de la nature ; car si l’on contourne une tige nervée, ou cette tige se brise, ou ses nervures décrivent forcément des spirales pour se prêter à la courbe qu’on impose à leur faisceau. Les attaches des tigettes sont bien senties, cherchant le naturel. Ce bel ornement ne saurait être antérieur à celui de Saint-Denis ; il en est le développement, l’observation de la nature aidant. La date de l’ornement de Saint-Denis n’est pas douteuse, 1137 à 1140. La date de la reprise faite à la salle capitulaire de Vézelay ne peut varier qu’entre les années 1155 et 1165 ; puisque cette salle capitulaire était bâtie après le narthex, qui date de 1130 à 1132, et qu’entre les années 1135 et 1155 les moines de l’abbaye eurent bien autre chose à faire qu’à bâtir. D’ailleurs, le caractère de l’architecture de cette salle capitulaire ne permet pas de placer sa construction, ni avant 1155, ni après 1165. Donc, admettant même que la reprise dont nous parlons ait été faite immédiatement après l’achèvement de la salle capitulaire, ce qui n’est guère vraisemblable, vu la différence marquée du style, elle ne pourrait dater que de 1160 à 1165 au plus-tôt. Le rinceau de Sens (fig. 52), se rapprochant beaucoup du style des chapiteaux et archivoltes (fig. 46 et 47), quoique d’un caractère un peu plus archaïque, ne pourrait remonter plus loin que l’année 1155 ; mais nous sommes porté à lui donner une date plus récente (1165 à 1170), si nous le comparons à l’ornementation de la Bourgogne, de la basse Champagne et de l’Île-de-France, dont la date est bien constatée.

Il est certain qu’une école n’arrive pas à composer des ornements avec cette adresse et cette entente de l’effet du premier coup. La beauté, un peu travaillée, des compositions byzantines, avait été un enseignement assez puissant pour donner à nos artistes une première impulsion ; quand ils mêlent à cet acquis l’étude de la nature, ils arrivent, par une transition rapide, mais que l’on peut suivre année par année, à un développement de l’art décoratif qui tient du merveilleux.

  1. Voyez figure 44.
  2. Le rinceau qui fait pendant à celui-ci imite les bourgeons de la fougère au moment où ils se développent.