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Bourges[1] qui garnissent les deux portes nord et sud et notamment le linteau à grands enroulements d’une de ces deux portes, 1140 à 1150, présentent un caractère de sculpture assez franc, se rapprochant beaucoup de l’art roman de Chartres et de l’Île-de-France.

Par le fait, vers cette époque, l’école romane du Nord se développe sur une surface de territoire étendue qui comprend l’Île-de-France proprement dite, une partie de la Normandie Séquanaise, le Beauvoisis, le Berry, le pays Chartrain et la Basse-Champagne. Cette école, de 1130 à 1145, avait, de ces éléments, su mieux qu’aucune autre (l’école toulousaine exceptée) composer un style particulier qui n’est ni le byzantin, ni une corruption du gallo-romain, ni une réminiscence de l’art nord-européen, mais qui tient un peu de tout cela et qui, au total, produit de beaux résultats. Arrivée plus tard que les écoles du Centre et du Midi, et surtout que la grande école de Cluny, peut-être a-t-elle profité des efforts de ses devancières, a-t-elle pu mieux qu’elles opérer un mélange plus complet de ces styles divers.

Cependant, quand on remonte aux premiers essais de l’école dont le foyer est l’Île-de-France, après l’abandon des traditions gallo-romaines restées sur le sol, on ne peut méconnaître que cette école réagit plus qu’aucune autre contre ces traditions. On pourrait voir là dedans le réveil d’un esprit gaulois, d’autant qu’il est bien difficile autrement de comprendre l’espèce de répulsion que l’art de la sculpture, au commencement du XIIe siècle, manifeste pour tout ce qui rappelle le style romain. Dans les autres provinces, au fond de toute sculpture, on retrouve quelque chose de l’art antique admis dans les Gaules, et plus spécialement dans les pays de langue d’Oc, mais autour de Paris des éléments neufs ou renouvelés apparaissent.

Cette école de l’Île-de-France était certes, au commencement du XIIe siècle, relativement barbare. L’échantillon de sculpture d’ornement datant de cette époque que nous donnons ici (fig. 43), tiré de l’église abbatiale de Morienval (Oise)[2], est bien éloigné de la belle et large sculpture de Vézelay, de celle de Toulouse, de celle du Quercy. Mais on ne peut voir là seulement de grossières réminiscences des arts antiques. Le cheval sculpté sur l’un de ces chapiteaux se retrouve sur un grand nombre de monnaies gauloises antérieures à la domination romaine. Cette ornementation inspirée d’ouvrages de vannerie est elle-même plus gauloise que romaine. Il n’est pas jusqu’au faire qui ne rappelle le travail linéaire qui décore certains ustensiles de nos aïeux. Pourquoi les souvenirs des arts romains auraient-ils laissé moins de traces dans ces provinces que

  1. Fragments romans replacés aux portes nord et sud, lors de la reconstruction de la cathédrale au XIIIe siècle.
  2. Chapiteaux de l’abside dont la construction remonte aux premières années du XIIe siècle. Nous devons ces dessins à M. Bœswilwald qui a bien voulu nous communiquer les études très-détaillées faites par lui sur cet intéressant monument.