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Nord (le croyait-il du moins) depuis les guerres de Trajan, et depuis qu’il avait organisé comme une sorte de ligue germanique dévouée à Rome ; du côté de l’Orient, il trouvait un continent profond, inconnu en grande partie, dans lequel ses armées pénétraient en rencontrant chaque jour, et des obstacles naturels et des populations guerrières innombrables. Byzance était (la situation de l’Empire admise au commencement du IVe siècle) la base d’opérations la mieux choisie, tant pour conserver les anciennes conquêtes que pour en préparer de nouvelles. C’était aussi, et c’est là ce qui nous intéresse ici, le nœud de tout le commerce du monde connu alors. Or, il est inutile de dire que l’Empire prétendait accaparer tous les produits du globe et l’industrie des nations, depuis l’ivoire jusqu’au bois de charpente, depuis les perles jusqu’aux métaux vulgaires, depuis les épices jusqu’aux étoffes précieuses. Bien avant l’établissement de Constantin à Byzance, cette ville, ou plutôt les villes du Bosphore, étaient le rendez-vous des caravanes venant du nord-est par le Pont, de l’est par l’Arménie, de l’Inde et de la Perse par le Tigre et l’Euphrate. Avec ces caravanes arrivaient non-seulement des objets d’art fabriqués dans ces contrées éloignées, mais aussi des artisans, cherchant fortune et attirés par la consommation prodigieuse que l’Empire faisait de tous les produits de l’Orient. Il était donc naturel que l’élément grec qui existait et avait pu dominer sur les bords du Bosphore fût influencé et modifié profondément par ces appoints perses, assyriens, indiens même, que ces caravanes faisaient affluer sans cesse vers Byzance.

Constantinople devint plus encore, après l’établissement de l’Empire dans ses murs, une ville orientale cosmopolite. Le luxe de la cour des empereurs, le commerce étendu qui se faisait dans cette capitale si admirablement située, donna aux arts que nous appelons byzantins un caractère qui, bien qu’empreint encore du génie grec, offre un mélange des plus curieux à étudier de l’art grec proprement dit avec les arts des Perses et même de l’Inde. Comme preuve, nous présenterions les ouvrages de M. le comte Melchior de Vogüé, que nous avons cité déjà souvent, sur les villes du Haouran, et celui de M. W. Salzemberg sur les plus anciennes églises de Constantinople, Sainte-Sophie comprise.

Les monuments du Haouran, c’est-à-dire renfermés dans ces petites villes qui, entre Alep et Antioche, n’étaient guère que des étapes pour les caravanes qui venaient du golfe Persique par l’Euphrate, monuments auxquels nous avons donné la qualification de gréco-romains, datent du IVe au VIe siècle. Leur sculpture est fortement empreinte de style grec, sans représentations humaines, sans influences persiques, les dernières en date seulement présentent quelques réminiscences des sculptures arsacides et sassanides. Mais il n’en est pas ainsi pour la sculpture de Constantinople qui date des Ve et VIe siècles[1], celle-ci est bien plus per-

  1. Voyez l’ouvrage de M. W. Salzemberg. Alt-Christliche baudenkmale von Constantinopel…, Berlin, 1854.