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[sculpture]
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On peut voir dans les voussures de la porte principale de Notre-Dame de Paris deux zones d’anges à mi-corps dont les gestes et les expressions sont d’une grâce ravissante. La cathédrale de Reims a conservé une grande quantité de ces représentations d’êtres supérieurs, traitées avec un rare mérite. Les anges posés sur les grands contreforts et qui sont de dimensions colossales sont presque tous des œuvres magistrales. D’autres, d’une époque un peu plus ancienne, c’est-à-dire qui ont dû être sculptés vers l’année 1225 et qui sont adossés aux angles des chapelles absidales, sous la corniche, ont des qualités qui les mettent presqu’en parallèle, comme faire, avec la statuaire grecque du bon temps. Nous donnons (fig. 17) la tête d’un de ces anges. L’antiquité n’exprime pas mieux la jeunesse, l’ingénuité, le bonheur calme et sûr, et cependant dans ces traits intelligents, rien de niais ou de mignard. C’est jeune et gracieux, mais en même temps puissant et sain. Nous inviterions les personnes qui, sans avoir jamais regardé la statuaire du moyen âge que sur des bahuts flamands couverts de magots difformes ou sur quelques diptyques, ne voyent dans cet art qu’un développement du laid, d’aller faire un voyage à Reims, à Chartres ou à Amiens et d’examiner avec quelque attention les bonnes statues colossales de ces églises et les deux ou trois mille figures des voussures et bas-reliefs ; peut-être leur jugement serait-il quelque peu modifié[1].

Si cette tête d’ange est belle, intelligente, cette beauté ressemble-t-elle à celle des beautés grecques ? Nullement. Le front est haut et large, les yeux longs, à peine enfoncés sous les arcades sourcilières, le nez est petit, le crâne large aux tempes, le menton fin. C’est un type de jeune Champenois idéalisé, qui n’a rien de commun avec le type grec. Ce n’est pas là un tort, à nos yeux, mais une qualité. Idéaliser les éléments que l’on possède autour de soi, c’est là le véritable rôle du statuaire plutôt que de reproduire cent fois la tête de la Vénus de Milo, en lui enlevant, à chaque reproduction, quelque chose de sa fleur de beauté originale[2]. Nous n’avons pas suffisamment insisté sur les conditions dans lesquelles le beau se développait chez les Athéniens entre tous les Grecs. Si élevée

  1. Les planches jointes à cet article ont toutes été dessinées soit sur des estampages, à la chambre claire, soit d’après des photographies, soit sur les originaux, de même à l’aide de la chambre claire. Nous faisons cette observation, parce que, de bonne foi d’ailleurs, quelques personnes ont prétendu que nous donnions à la statuaire du moyen âge un caractère de beauté qu’elle ne possède pas. Nous ne saurions accepter cette critique flatteuse. Mais serait-elle vraie qu’elle prouverait que l’étude de cette sculpture peut conduire ceux qui s’y livrent à faire mieux tout en conservant son style et son caractère ; donc cette étude ne serait pas une mauvaise chose.
  2. Sur un édifice récent, qu’il est inutile de citer, nous avons compté vingt-deux têtes de la Vénus de Milo, autant que de statues. Sur l’observation que nous faisions à un sculpteur de cet abus d’un chef-d’œuvre, il nous fut répondu : « Ces statues étaient si mal payées ! » Soit, mais alors qu’on ne vienne pas mettre en avant les intérêts de l’art.