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ciété gouvernée par un despotisme quelconque, théocratique ou monarchique. Pourquoi lui refuseriez-vous ce rôle de précurseur dans la voie de l’émancipation de l’intelligence ?

On peut reconnaître les qualités d’un art en considérant quels sont ses détracteurs. Les admirations n’apprennent pas grand’chose, mais la critique de parti pris et le côté d’où elle vient, sont un enseignement précieux. Si vous voyez un siècle tout entier s’élever contre un art d’un temps antérieur, vous pouvez être assuré que les idées qui ont dominé dans cet art vilipendé sont en contradiction manifeste avec les idées de la société qui le repousse. Si vous voyez un corps, une association, une coterie d’artistes rejeter un art, vous pouvez être assuré que les qualités de cet art sont en opposition directe avec les méthodes et les façons d’être de ce corps. Si une école se signale par la médiocrité ou la platitude de ses productions, vous pouvez être assuré que l’école rejetée amèrement par elle se distinguait par l’originalité, la recherche du progrès et l’examen. Dans la république des arts, ce qu’on redoute le plus, ce n’est pas la critique contemporaine, pouvant toujours être soupçonnée de partialité, c’est la protestation silencieuse, mais cruelle, persistante, d’un art qui se recommande par les qualités qu’on ne possède plus. Dans un temps comme le siècle de Louis XIV où l’artiste n’était plus guère qu’un commensal de quelque grand seigneur, pensionné par le roi, subissant tous les caprices d’une cour, disposé à toutes les concessions pour plaire, à toutes les flatteries pour vivre (car on flatte avec le ciseau comme avec la plume), il n’est pas surprenant que la statuaire du XIIIe siècle avec son caractère individuel, indépendant, dût paraître barbare. Placez un de ces beaux bronzes étrusques comme le Musée britannique en possède tant, sur la cheminée d’une dame à la mode, au milieu de chinoiseries, de biscuits, de vieux Sèvres, de ces mièvreries tant recherchées de la fin du dernier siècle, et voyez quelle figure fera le bronze antique ? Il était naturel que les critiques du dernier siècle qui mettaient, par exemple, le tombeau du maréchal de Saxe au niveau des plus belles productions de l’antiquité, trouvassent importunes les sculptures hardies des beaux temps du moyen âge. Le clergé lui-même mit un acharnement particulier à détruire ces dénonciateurs permanents de l’état d’avilissement où tombait l’art. Ceux dont le devoir serait de lutter contre l’affaiblissement d’une société et qui, loin d’en avoir le courage et la force, profitent de ce relâchement moral, s’attaquent habituellement à tout ce qui fait un contraste avec l’état de décadence où tombe cette société. Quand les chapitres, quand les abbés du dernier siècle jetaient bas les œuvres d’art des beaux moments du moyen âge, ils rendaient à ces œuvres le seul hommage qu’ils fussent désormais en état de leur rendre ; ils ne pouvaient souffrir qu’elles fussent les témoins des platitudes dont on remplissait alors les édifices religieux. C’était la pudeur instinctive de l’homme qui, livré à la débauche, raille et cherche à disperser la société des honnêtes gens. Les statues pensives et graves de