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Cette évolution de l’art français coïncide avec un fait historique important ; le développement de l’esprit communal, l’affaissement de l’état monastique et l’aurore de l’unité politique se manifestant sous une influence prépondérante prise par le pouvoir royal. L’art de la statuaire appartient aux laïques ; il s’émancipe dans ces belles écoles qui s’affranchissent, vers la fin du XIIe siècle, de la tutelle monastique.

Il y a ici des questions complexes qui ne semblent pas avoir été suffisamment appréciées. Les historiens sont peu familiers avec l’étude et la pratique des arts plastiques et les artistes ne vont guère chercher les causes d’un développement ou d’un affaissement des arts dans un état particulier de la société. Aussi vivons-nous sous l’empire d’un certain nombre d’opinions banales dont personne ne songe à contrôler la valeur. Pour que les arts arrivent à une sorte de floraison rapide, comme chez les Athéniens, comme au commencement du XIIIe siècle chez nous comme dans certaines villes italiennes pendant le XIVe et le XVe siècle, il faut qu’il s’établisse un milieu social particulier, milieu social que nous nommerons, faute d’un autre nom, état municipal. Lorsque par suite de circonstances politiques, des cités sont entraînées à faire leurs affaires elles-mêmes, qu’elles ont, comme Athènes, mis de côté des tyrans ; qu’elles ont, comme nos villes du nord de la France, pu obtenir une indépendance relative entre des pouvoirs également forts et rivaux, en donnant leur appui tantôt aux uns, tantôt aux autres ; comme les républiques italiennes en s’enrichissant par l’industrie et le commerce ; ces cités forment très-rapidement un noyau compact, vivant dans une communion intime d’idées, d’intérêts se développant dans un sens favorable aux expressions de l’art. Alors la nécessité politique d’existence forme des associations solidaires, des corporations que les pouvoirs ne peuvent dissoudre et qu’ils cherchent au contraire à s’attacher. Ces corporations, si elles sont comme en France, en présence d’une organisation féodale luttant contre une puissance monarchique qui cherche à se constituer, obtiennent bientôt les privilèges qui assurent leur existence. L’émulation, le désir de prendre un rang important dans la cité, de marcher en avant, de dépasser les villes voisines, non-seulement en influence mais en richesse de manifester extérieurement ce progrès, deviennent un stimulant très-propre à ouvrir aux artistes une large carrière. Il ne s’agit plus alors de copier dans des cellules de moines des œuvres traditionnelles, sans s’enquérir de ce qui se passe au dehors, mais au contraire de rivaliser d’efforts et d’intelligence pour faire de cette société urbaine un centre assez puissant, riche et composé d’éléments habiles pour que, quoiqu’il advienne, il faille compter avec lui.

Au commencement du XIIIe siècle, les moines ne sont plus maîtres ès-arts, ils sont débordés par une société d’artistes laïques que peut-être ils ont élevés, mais qui ont laissé de côté leurs méthodes surannées. La cour n’existe pas encore, et ne peut imposer ou avoir la prétention d’imposer un goût, comme cela s’est fait depuis le XVIe siècle. La féodalité