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L’idéal plastique du Grec possède l’agent, l’âme, le souffle qui l’a fait composer, parce que l’artiste grec a cherché logiquement une forme qui rendît sa pensée et l’a trouvée ; mais faire l’opération inverse, prendre l’imitation plastique seulement, puisque nous ne pouvons avoir ni les idées, ni les aspirations intellectuelles qui guidaient l’artiste, et croire que dans ce cadavre va venir se loger un souffle, c’est une illusion aussi étrange que serait celle du fabricant de fleurs artificielles attendant l’épanouissement d’un bouton de rose façonné par lui avec une rare perfection. Le merveilleux, c’est de nous entendre accuser de matérialisme en fait d’art, par ceux qui ne voient dans l’art de la statuaire que la reproduction indéfinie d’un type reconnu beau, mais auquel nous sommes impuissants à rendre l’âme qui l’a fait naître ! Nous avons la prétention de nous croire spiritualistes au contraire lorsque nous disons : « Ou ayez sur les forces de la nature, sur les émanations de la divinité les idées des Grecs, vivez dans leur milieu, si vous voulez essayer de faire de la statuaire comme celle qu’ils nous ont laissée, ou si vous ne pouvez retrouver ces conditions, cherchez autre chose. » Certes il n’est pas nécessaire d’être croyant pour exprimer, par les arts plastiques, des sentiments qui impressionnent des croyants, il est fort possible que Phidias ne fut nullement dévôt, mais il faut vivre dans un milieu d’idées ayant cours pour pouvoir leur donner une valeur compréhensible et pour pouvoir animer le bloc de marbre ou de pierre. Un athée payen pouvait être saisi de respect devant la statue de Jupiter d’Olympie, de Phidias, parce que cet homme, tout athée qu’il fût, se rendait compte de l’idée élevée que le Grec attachait au Zeus et vivait au milieu de gens qui l’adoraient. L’intelligence se séparait en lui de l’incrédulité. Mais aussi est-ce bien plutôt, le dirons-nous encore, l’intelligence que le sentiment qui permet à l’artiste de produire une impression, de donner le souffle à sa création. — Il est entendu que nous prenons ici l’intelligence, comme intellect, faculté de s’approprier et de rendre des idées, même ne vous appartenant pas. — Il en est de cela comme de l’acteur qui généralement produit d’autant plus d’effet sur le public qu’il comprend les sentiments qu’il exprime, non parce qu’il en est ému et qu’ils émanent de lui, mais parce qu’il a observé comment se comportent ceux qui les éprouvent. Or, nous est-il possible aujourd’hui de croire que nous faisons des statues pour des Grecs du temps de Périclès ? Peut-il y avoir entre le public et nous cette communauté d’idées — admettant que nous soyons, nous, mythologues savants — qui existait entre Phidias et son public ? Cette communauté d’idées n’existant pas, ces figures que nous faisons en imitant la statuaire grecque peuvent-elles avoir une âme, émaner d’une pensée compréhensible pour la foule ? Certes non, dès lors ces œuvres sont purement matérielles. Ne portons donc pas l’accusation de matérialistes à ceux qui cherchent autre chose dans la statuaire qu’une reproduction de types qui n’ont plus de vie au milieu de notre société et qui croient que la première condition d’un art c’est l’idée qui le crée.