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Nous ne voudrions pas que cette origine à la fois politique et religieuse donnée par nous à la grande cathédrale pût faire supposer que nous prétendons diminuer la valeur de cet élan qui se manifeste en France à la fin du XIIe siècle. Il y a dans le haut clergé séculier de cette époque une pensée trop grande, dont les résultats ont été trop vastes, pour qu’elle ne prenne pas sa source dans la religion ; mais il ne faut pas oublier que, chez les peuples naissants, la religion et la politique vont de pair ; il n’est pas possible de les séparer ; d’ailleurs les faits parlent d’eux-mêmes. On était aussi religieux en France au commencement du XIIe siècle qu’à la fin ; cependant, c’est précisément au moment où les évêques font cause commune avec la monarchie, veulent se séparer de la féodalité, qu’ils trouvent les ressources énormes dont l’emploi va leur permettre d’élargir l’enceinte de leurs cathédrales pour contenir tout entières les populations des villes. Non-seulement alors la cathédrale dépasse les dimensions des plus vastes églises d’abbayes, mais elle se saisit d’une architecture nouvelle ; son iconographie n’est plus celle des églises monastiques ; elle parle un nouveau langage ; elle devient un livre pour la foule, elle instruit le peuple en même temps qu’elle sert d’asile à la prière.

Nous allons étudier tout à l’heure, sur les monuments mêmes, les phases de ce mouvement qui se manifeste vers la fin du XIIe siècle.

Poursuivons. L’alliance du clergé avec la monarchie ne tarda pas à inquiéter les barons ; saint Louis reconnut bientôt que le pouvoir royal ne faisait que changer de maître. En 1235, la noblesse de France et le roi s’assemblèrent à Saint-Denis pour mettre des bornes à la puissance que les tribunaux ecclésiastiques s’étaient arrogée. En 1246, les barons rédigèrent un acte d’union « et nommèrent une commission de quatre des plus puissants d’entre eux[1], pour décider dans quels cas le baronnage devait prendre fait et cause pour tout seigneur vexé par le clergé ; de plus, chaque seigneur s’était engagé à mettre en commun la centième partie de son revenu, afin de poursuivre activement le but de l’union. Ainsi l’on voit l’attitude du clergé français quand saint Louis monta sur le trône ; elle était hostile et menaçante. »

Au milieu de ces dangers, par sa conduite à la fois ferme et prudente, le saint roi sut contenir les prétentions exorbitantes du clergé dans de justes bornes, et faire prévaloir l’autorité monarchique sur la féodalité. Dès 1250, le peuple, rassuré par la prédominance du pouvoir royal, s’habituant à le considérer comme la représentation de l’unité nationale, trouvant sous son ombre l’autorité avec la justice, ne montra plus le même empressement pour jeter dans l’un des plateaux de la balance ces trésors qui, cinquante ans auparavant, avaient permis de commencer, sur des proportions gigantesques, les cathédrales. Aussi est-ce à partir de cette époque que nous voyons ces constructions se ralentir, ou s’achever à la hâte sur de moins vastes patrons, s’atrophier pour ainsi dire. Faut-il

  1. Instit. de saint Louis. Le comte Beugnot.