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bordée de bancs sur lesquels des échantillons de marchandises étaient posés ; un auvent préservait la descente et les bancs de la pluie. Il est bon de remarquer que, dans les villes marchandes, les boutiquiers cherchaient autant qu’ils pouvaient à barrer la voie publique, à arrêter le passant en mettant obstacle à la circulation. Cet usage, ou plutôt cet abus, s’est perpétué longtemps ; il n’a fallu rien moins que l’établissement des trottoirs et des règlements de voirie rigoureusement appliqués à grand’peine pour le faire disparaître. Les rues marchandes, pendant le moyen âge, avec leurs boutiques ouvertes et leurs étalages avancés sur la voie publique, ressemblaient à des bazars. La rue, alors, devenait comme la propriété du marchand, et les piétons avaient peine à se faire jour pendant les heures de vente ; quant aux chevaux et chariots, ils devaient renoncer à circuler au milieu de rues étroites encombrées d’étalages et d’acheteurs. Pendant les heures des repas, les transactions étaient suspendues ; bon nombre de boutiques se fermaient. Lorsque le couvre-feu sonnait et les jours fériés, ces rues devenaient silencieuses et presque désertes.

Quelques petites villes de Bretagne, d’Angleterre et de Belgique peuvent encore donner l’idée de ces contrastes dans les habitudes des marchands du moyen âge. Sur ces petits volets abattus, ne présentant qu’une surface de quatre ou cinq mètres, des fortunes solides se faisaient. Les fils restaient marchands comme leurs pères, et tenaient à conserver ces modestes devantures, connues de toute une ville. Un marchand eût éloigné ses clients, s’il eût remplacé les vieilles grilles et les vieux volets de son magasin, changé son enseigne, ou déployé un luxe qui n’eût fait qu’exciter la défiance. Nous sommes bien éloignés de ces mœurs. Les boutiques, dans les villes du Nord particulièrement, étaient plus connues par leurs enseignes que par le nom des marchands qui les possédaient de père en fils. On allait acheter des draps à la Truie qui file, et la Truie qui file maintenait intacte sa bonne réputation pendant des siècles. Beaucoup de ces enseignes n’étaient que des rébus ; et bon nombre de rues, même dans les grandes villes, empruntèrent leurs noms aux enseignes de certains magasins célèbres.

Les corps de métiers étaient, comme chacun sait, soumis à des règlements particuliers. Un patron huchier, bouclier, potier, gantier, etc., ne pouvait avoir qu’un certain nombre d’apprentis à la fois, et ne devait les garder en apprentissage qu’un certain temps ; les locaux destinés à contenir les ouvriers de chaque maître restaient donc toujours les mêmes, n’avaient pas besoin d’être agrandis. On ne connaissait pas, pendant le moyen âge, ce que nous appelons aujourd’hui le marchandage, l’ouvrier en chambre, tristes innovations qui ont contribué à démoraliser l’artisan, à avilir la main-d’œuvre, et à rompre ces liens intimes, et presque de famille, qui existaient entre l’ouvrier et le patron. Les mœurs impriment leurs qualités et leurs défauts sur l’architecture domestique, plus encore que sur les monuments religieux ou les édifices publics. Les boutiques du moyen âge reflètent l’organisation étroite, mais sage, prudente et paternelle, qui