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faut étudier l’architecture antique et l’architecture ogivale à deux points de vue différents.

En soumettant ainsi toutes les piles et les membres de ces piles à un seul profil de bases, sans tenir compte des diamètres des colonnes, les architectes obéissaient à leur instinct d’artiste plutôt qu’à un raisonnement de savants ; ils avaient dévié de l’ornière logique. Nous ne saurions trop le dire (parce que dans les arts, et surtout dans l’art de l’architecture, entre la science pure et le caprice, il est un chemin qui n’est ouvert qu’aux hommes de génie), ce qui nous porte à tant admirer nos architectes français du XIIIe siècle, c’est qu’ils ont suivi ce chemin, comme dans leur temps les Grecs l’avaient parcouru ; mais malheureusement cette voie, dans l’histoire des arts, n’est jamais longue. Le goût, le génie, l’instinct ne se formulent pas, et l’heure des pédants, des raisonneurs, succède bientôt à l’inspiration qui possède la science, mais la possède prisonnière et soumise.

Avant de passer outre et de montrer ce que devient ce membre si important de l’architecture ogivale, la base, nous ne devons pas omettre une observation de détail qui a son importance. Si les bases des piles de rez-de-chaussée exécutées de 1230 à 1260 ne présentent que peu de variétés dans la composition de leurs profils et de leurs plans ; si les architectes pendant cette période attachaient une grande importance à ces bases inférieures, le point de départ, le module de leurs édifices, il semble qu’ils aient abandonné souvent l’exécution des bases des colonnes secondaires des ordonnances supérieures aux tailleurs de pierre. Les ouvriers sortis de divers ateliers, réunis en grand nombre lorsqu’il s’agissait de construire un vaste édifice (et à cette époque on construisait avec une rapidité qui tient du prodige) (voy. Construction), se permettaient de modifier certains profils de détails suivant leur goût. Il n’est pas rare (et ceci peut être observé surtout dans les grands monuments) de trouver, dans les édifices qui datent de 1240 à 1270, des bases de colonnettes, de meneaux de fenêtres, de galeries supérieures, présentant des rangs de pointes de diamant dans la scotie, des bases sans scoties, avec tore supérieur d’une coupe circulaire, avec plinthe carrée simple ou avec angles abattus et supports sous la saillie du tore inférieur. Il y a donc encore à cette époque une certaine liberté, mais elle se réfugie dans les parties des édifices qui sont hors de la vue, et se produit sans la participation de l’architecte.

Au commencement du XIVe siècle, la base s’appauvrit, ses profils perdent de leur hauteur et de leur saillie. Dans l’église Saint-Urbain de Troyes déjà, qui ouvre le XIVe siècle, les bases des piliers et colonnettes comptent à peine ; les deux tores se sont réunis et la scotie a disparu (38) ; les moulures des socles sont maigres ; et partout, au rez-de-chaussée comme dans les galeries supérieures, le profil est le même. On voit qu’alors les architectes cherchaient à dissimuler ce membre d’architecture, si important dans les édifices des premiers temps de la période ogivale, à éviter des