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silencieuse forêt. À travers les branches, je regardais par moments la Croix du Sud, afin de continuer mon chemin vers la Perse ou la Syrie.

« Et, perdue dans la pensée, j’observais un point fixe de la Notion à laquelle j’étais déjà parvenue. Je méditais sur la correspondance de l’Universel, du Particulier et de l’Individuel avec l’Identité, la Différence et la Raison d’être, antérieurement présupposées et reconstituées en moi par l’Esprit. J’étais plongée dans l’Abstraction visionnaire, et, saisie par l’Immensité, je ne m’aperçus pas de ce qui me menaçait. Le cheval, effrayé brusquement soit par la voix lointaine d’un tigre, soit d’un bruissement d’écailles sous l’herbe, s’était emporté, et, tête baissée, dans les vertiges de son élan, il m’entraînait avec sa course furieuse au milieu de dangers invisibles, à je ne sais quelle mort imminente.

« Un instant, la nuit me tenta. La dent des bêtes fauves ou les nœuds des serpents me séduisaient aussi bien que telle autre maladie. La mort ne me surprenait pas ; ici ou ailleurs, peu m’importait. À cette heure-ci plutôt qu’à celle-là, sous l’océan,