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Et, comme nul ne possède, en effet, que ce qu’il éprouve, et qu’ils le savent, — et que ce sont deux chercheurs d’impressions inoubliables, ils vivent là des soirées dont le charme oppresse leurs âmes d’une sensation intime et pénétrante de leur propre éternité. Souvent, en regardant l’ombre des objets sur les tentures séculaires, ils détournent les yeux, sans cause intelligible. Et les sculptures sombres, à l’entour de quelque grand miroir, — dont l’eau bleuâtre reflète le scintillement, tout à coup, d’un astre, à travers les vitres, — et l’inquiétude du vent, froissant, au dehors, dans l’obscurité, les feuilles du jardin, — et les solennelles, les indéfinissables anxiétés qu’éveille en eux, lorsque l’heure sonne distincte et sonore, le mystère de la nuit, — tout leur parle, autour d’eux, cette langue immémoriale du vieux songe de la vie, qu’ils entendent sans peine, grâce à leur recueillement sacré. Tels, ne laissant point la dignité de leurs êtres se distraire de cette pensée qu’ils habitent ce qui n’a ni commencement ni fin, ils savent grandir, de toute la beauté de l’Occulte et du Surnaturel, — dont ils acceptent le sentiment, — l’intensité de leur amour.

Ainsi, prolongeant les heures, délicieusement, en causeries exquises et profondes, en étreintes où leurs corps ne seront plus que celui d’un Ange, en suggestives lectures, en chants mystérieux, en joies délicieuses, ils puiseront de toujours nouvelles sensations de plus en plus vibrantes, extra-mortelles ! en cette solitude — qu’un si petit nom-