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Arrivée, enfin, devant lui, la reine s’arrêta, le considéra pendant un instant sans une parole, puis, — d’une voix qui retentit ferme, jeune, vibrante, dans le terrifiant isolement du démesuré tombeau :

— « Brahmane, je sais que tu t’es affranchi de nos joies, de nos désirs, de nos douleurs et que tes regards sont devenus lourds comme les siècles. Tu marches environné des brumes d’une légende divine. Un pâtre, des marchands khordofans, des chasseurs de lynx et de bœufs sauvages t’ont vu, de nuit, dans les sentiers des montagnes, plongeant ton front dans les immenses clartés de l’orage et, tout illuminé d’éclairs dont la vertu brûlante s’émoussait contre toi, sourd au fracas des cieux, tu réfractais, paisiblement, au profond de tes prunelles, la vision du dieu que tu portes. Au mépris des éléments de nos abîmes, tu te projetais, en esprit, vers le Nul sacré de ton vieil espoir.

« Comment donc te menacer, figure inaccessible ? Mes bourreaux épuiseraient en vain, sur ta dépouille vivante, leur science ancienne, et mes plus belles vierges, leurs enchantements ! Ton insensibilité neutralise ma puissance. Je veux donc me plaindre à ton dieu. »

Elle posa le pied sur la première dalle du sanctuaire, puis, élevant ses regards vers le grand visage d’ombre perdu dans les hautes ténèbres du temple :

— « Sivâ ! cria-t-elle, Dieu dont l’invisible vol revêt de terreur jusqu’à la lumière du soleil, — Dieu, qui, devant l’Irrévélé, te dressas, improuvant et condamnant