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toi ! » Car, même avec les défunts, les femmes ont de ces exquises délicatesses où l’imagination plus grossière de l’homme perd complètement pied, — mais auxquelles il serait à parier, quand même, que les trépassés ne sont pas insensibles.

Toutefois, comme c’était une femme d’ordre, chez qui le sentiment n’excluait pas le très légitime calcul d’une ménagère, la belle Mme Rousselin, dès le premier trimestre, avait remarqué le prix auquel revenaient, achetées au détail, ces pâles couronnes, si vite fanées par les intempéries ; et, séduite par diverses annonces des journaux qui mentionnaient la découverte de nouvelles couronnes funèbres inoxydables, obtenues par le procédé galvanoplastique, résistantes même à l’oubli, — couronnes modernes par excellence ! — elle en avait acheté, en gros, une provision, quelques douzaines, qu’elle conservait, au frais, dans la cave, et qui défrayaient, depuis, les visites bimensuelles au cher décédé.


Soudain, les trois enfants, dont les boucles vermeilles, alanguies en repentirs, sautillaient sur les noirs corsages, cessèrent de s’ébattre sur l’herbe en fleurs, car, au seuil du perron, et poussant la porte vitrée, venait d’apparaître l’épouse, la grave maman toute en deuil, blonde aussi et déjà pâlie de son abandon. Elle tenait, justement, à la main, trois de ces couronnes légères et solides, nouveau système, qu’elle laissa tomber, auprès de la rampe, sur la table verte du jardin, comme pour appuyer de leur impression les paroles suivantes :