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Aujourd’hui, c’était dans une salle plus sombre et toute royale, où sifflait le vent de neige, malgré les feux allumés, que les deux mandataires ennemis se réapparaissaient.

À certain moment de l’entretien, Favre, pensif, assis devant la table, s’était surpris à considérer, en silence, le comte de Bismarck-Schoenhausen, qui s’était levé.

La stature colossale du chevalier de l’Empire d’Allemagne, en tenue de major général, projetait son ombre sur le parquet de la salle dévastée. À de brusques lueurs du foyer étincelaient la pointe de son casque d’acier poli, obombré de l’éparse crinière blanche, — et, à son doigt, le lourd cachet d’or, aux armoiries sept fois séculaires, des vidames de l’Évêché de Halberstadt, plus tard barons : le Trèfle des Bisthums-marke, sur leur vieille devise : In trinitate robur.

Sur une chaise était jeté son manteau de guerre aux larges parements lie de vin, dont les reflets empourpraient sa balafre d’une teinte sanglante. — Derrière ses talons, enscellés de longs éperons d’acier, aux chaînettes bien fourbies, bruissait, par instants, son sabre, largement traîné. Sa tête, au poil roussâtre, de dogue altier, gardant la Maison allemande — dont il venait de réclamer la clef, Strasbourg, hélas ! — se dressait. De toute la personne de cet homme, pareil à l’hiver, sortait son adage : « jamais assez ». Le doigt appuyé sur la table, il regardait au loin, par une croisée, comme si, oublieux de la présence de l’ambassadeur,