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Ce long tronçon de la bête, c’était donc le balancier vivant qui heurtait, tout à l’heure, les murs, à droite et à gauche, pour s’étirer, davantage de ses entraves, pendant ce minuit !

Maintenant, la bête, retenue encore, se tendait, de bas en haut, vers moi, du fond de la chambre ; la longueur gonflée, d’un brun verdâtre, tachée de plaques noires aux écaillures à reflets, de la partie libre de son corps, se tenait toute droite, immobile, en face de nous ; et, de l’énorme gueule aux quatre parallèles mâchoires horriblement distendues en angle obtus, s’élançait, en s’agitant, une longue langue bifide, pendant que les braises de ses yeux féroces me regardaient, fixement, l’éclairer !

D’enragés sifflements de fureur que, lors du paisible dorlotement de mon réveil, j’avais pris pour le bruit du vent de mer dans les jointures des fenêtres, jaillissaient, saccadés, du trou ardent de sa gorge, à moins de deux pieds de mon visage

À cette soudaine vision, je ressentis une agonie : il me sembla que toute ma vie se reproduisait au fond de mon âme. Au moment où je me sentais faiblir en syncope, un cri de sanglotant désespoir poussé par la mulâtresse, — par elle, qui avait tout de suite reconnu, dans la nuit, le sifflement ! — me réveilla l’être.

La tête furibonde, en de petites secousses, s’approchait de nous…

Spontanément, je bondis par-dessus le chevet du lit, sans lâcher mon brandon dont les larges flammes,