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femme ! mes enfants ! » qui inspirèrent à la jeune artiste la conviction qu’elle pouvait doubler la Providence comme elle doublait Mme T***. Si bien que ni l’un ni l’autre, au fort du quiproquo de cette extase réflexe, ne se rendit compte que, par des transitions d’une brièveté vertigineuse, la belle Diane se trouvait à demi posée, à son insu, sur la litière agreste et que, maintenant, elle subissait — avec une stupeur qui lui dilatait les prunelles (mais le doute ne lui était plus permis) — la possessive étreinte de son trop expansif obligé, lequel, sous une rafale de baisers (oh ! bien sincères !) étouffait, sans même y prendre garde, toute exclamation d’appel, et ne cessait de lui entrecouper à l’oreille, en des sanglots célestes, ces mots pénétrés de ravissements :

— Oh ! merci pour ma pauvre femme !! Oh ! que vous êtes bonne !.. Oh ! merci pour mes pauvres enfants !

Quelques minutes après, un bruit de pas et de voix parvenu du dehors et s’approchant dans la rue jusque-là solitaire, ayant rendu, comme en sursaut, l’irresponsable Lovelace au sentiment de la réalité, la jeune artiste put se dégager d’un bond, s’échapper — et, déconcertée, défrisée, les joues roses, le sourcil froncé, se rajustant de son mieux, à la hâte, — reprendre le chemin de sa voisine villa, pour s’y remettre. En marchant, elle se jurait qu’à l’avenir — non seulement les dons offerts par sa main droite resteraient ignorés de sa main gauche et qu’elle ne jouerait plus les séraphins à