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deux ans, il avait fondé l’abbaye. Son front était haut, plein et pensif. Ses yeux, d’un bleu très pâle, étaient deux lueurs vivantes.

Tout dégageait, en sa personne, l’invincible Foi ; sa croix abbatiale brillait sur sa poitrine comme de la lumière. Il n’était point de haute taille, mais quelque chose de mystérieux le grandissait, je m’en souviens, quand il parlait de Notre-Seigneur. Plus tard, lorsqu’il m’honora d’une amitié que la mort n’a pas effacée entre nos âmes, j’ai souvent constaté, dans ses entretiens, un accent de voyance révélant un élu.

Les deux religieux, à sa droite et à sa gauche, possédaient aussi des fronts extraordinaires et des prunelles pénétrées d’un rayonnement intérieur tel, que, depuis, je n’en ai jamais rencontré l’équivalent. Leur regard attestait la permanence du cœur et de l’esprit en l’unique pensée de Dieu.

Au dessert, la lecture finie, je me tournai vers mon voisin de table que je n’avais pas encore remarqué. Un passant comme moi, sans doute ? — Il me parut, dès le premier coup d’œil, doué d’un sourire sympathique en un visage cependant presque vulgaire. Ses mains d’homme de lettres, aux manières affables, attirèrent mon attention ; elles indiquaient une intelligence.

Donc, à titre de plus nouvel arrivé au couvent, je lui demandai s’il connaissait le nom du religieux, qui, revêtu, sur son froc, d’un long tablier de serge, s’empressait et nous servait en silence.

— Oui, me répondit-il très simplement. C’est