Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le courant — qui les emporta comme une flèche.

Trente-cinq heures après, sur les sept heures et demie du soir, Tomolo Ké Ké, s’étant réveillé le premier, grâce à sa nature nerveuse, trancha l’amarre du lest, et, en quelques secondes, l’insubmersible pirogue s’épanouissait à découvert, sur les flots, au lever de constellations ignorées de ce trio d’explorateurs. Tout un rivage étrangre, et, autour d’eux, d’énormes monstruosités qui se balançaient sur la mer, et mille et une merveilles inconcevables apparurent soudain aux yeux, agrandis par la stupeur, des trois naturels, et en immobilisèrent les fronts couronnés de hautes plumes versicolores. Ce qu’ils entrevoyaient, aucune parole ne pourrait le traduire. Toutefois, avec le calme qui sied aux chefs d’expéditions mémorables, Tomolo Ké Ké, leur ayant bien indiqué le point présumable, — certain, même, à son estime, — du courant de retour, et laissant la pirogne (cachée entre deux rocs au-dessus de ce courant), à la garde de ses deux seconds, — s’aventura, seul et intrépide, au milieu des enchantements du rivage.

Tomolo Ké Ké venait de découvrir la Cannebière.

Comme, rêvant déjà de la coloniser, il en prenait naturellement possession, avec une mimique sacramentelle, au nom du roi de son île, une demi-douzaine de matelots, s’échappant, avec des hurlements sauvages, d’un cabaret d’alentour, — sous