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En finirions-nous jamais si nous voulions examiner toutes les ressources d’une Claque bien organisée ? — Mentionnons, toutefois, pour les pièces dites « corsées » et les drames à émotions, les Cris de femmes effrayées, les Sanglots étouffés, les Vraies Larmes communicatives, les Petits Rires brusques, et aussitôt contenus, du spectateur qui comprend après les autres (un écu de six livres) — les Grincements de tabatières aux généreuses profondeurs desquelles l’homme ému a recours, les Hurlements, Suffocations, Bis, Rappels, Larmes silencieuses, Menaces, Rappels avec Hurlements en sus, Marques d’approbation, Opinions émises, Couronnes, Principes, Convictions, Tendances morales, Attaques d’épilepsie, Accouchements, Soufflets, Suicides, Bruits de discussions (l’Art pour l’Art, la Forme et l’Idée), etc., etc. Arrêtons-nous. Le spectateur finirait par s’imaginer qu’il fait, lui-même, partie de la Claque, à son insu (ce qui est, d’ailleurs, l’absolue et incontestable vérité) ; mais il est bon de laisser un doute en son esprit à cet égard.

Le dernier mot de l’Art est proféré lorsque la Claque en personne crie : « À bas la Claque !… » puis finit par avoir l’air d’être entraînée elle-même et applaudit à la fin de la pièce, comme si elle était le Public réel et comme si les rôles étaient intervertis ; c’est elle, alors, qui tempère les exaltations trop fougueuses et fait des restrictions.

Statue vivante, assise, en pleine lumière, au milieu du public, la Claque est la constatation officielle, le symbole avoué de l’incapacité où se trouve la foule