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Cependant, ses économies se sont dissipées à meubler, d’une façon délicate et modeste, la demeure en question. Raoul n’est encore ni majeur, ni en possession d’une fortune quelconque. D’ailleurs, fût-il riche, il semblerait impossible à Maryelle d’accepter de lui le moindre service d’argent ; elle a peur de l’argent auprès de cet enfant-là. L’argent, cela lui rappellerait les « autres ». Lui en parler ? jamais. — Elle aimerait mieux mourir. Positivement. — Elle se trouve justifiée, par son amour, de l’inconvenance assez déplacée, de l’indélicatesse même, qu’elle commet, en ceci, vis-à-vis de ce très innocent garçon.

Lui, la croyant à l’aise, comme une femme de son monde, n’y songe, non plus, en rien ; il consacre tous ses petits louis à lui acheter soit des fleurs, soit de jolies choses d’art qu’il peut trouver, voilà tout. Et c’est, en effet, tout naturel.

Entre eux donc, c’est le ciel ! c’est l’estime naïve et pure ! c’est le tout simple amour, avec ses ingénues tendresses, ses extases, ses ravissements éperdus !

Daphnis et Chloé, balbutiant : voilà leur pendant exact.


À ce point du récit, Maryelle fit une pause, puis, levant vers les nuages lointains, au delà de la croisée ouverte aux étoiles, des yeux d’une expression virginale :

— Oui, acheva-t-elle, je lui suis fidèle ! Et rien, rien ! je le sens, ne me ferait cesser de l’être ! Oui, je me tuerais plutôt ! — murmura-t-elle avec une éner-