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hasard, il était arrivé à l’heure pour entendre l’adieu de celle qui partait.

Peu d’instants lui avaient suffi pour s’accoutumer au resplendissement de la salle. Mais, aux premières notes de la Malibran, son âme avait tressailli ; la salle avait disparu. L’habitude du silence des bois, du vent rauque des écueils, du bruit de l’eau sur les pierres des torrents et des graves tombées du crépuscule, avait élevé en poète ce fier jeune homme et, dans le timbre de la voix qu’il entendait, il lui semblait que l’âme de ces choses lui envoyait la prière lointaine de revenir.

Au moment où, transporté d’enthousiasme, il applaudissait l’artiste inspirée, ses mains demeurèrent en suspens ; il resta immobile.

Au balcon d’une loge venait d’apparaître une jeune femme d’une grande beauté. — Elle regardait la scène. Les lignes fines et nobles de son profil perdu s’ombraient des rouges ténèbres de la loge ; tel un camée de Florence en son médaillon. — Pâlie, un gardenia dans ses cheveux bruns, et toute seule, elle appuyait au bord du balcon sa main, dont la forme décelait une lignée illustre. Au joint du corsage de sa robe de moire noire, voilée de dentelles, une pierre malade, une admirable opale, à l’image de son âme, sans doute, luisait dans un cercle d’or. L’air solitaire, indifférent à tout la salle, elle paraissait s’oublier elle-même sous l’invincible charme de cette musique.

Le hasard voulut, cependant, qu’elle détournât, vaguement, les yeux vers la foule ; en cet instant, les