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figure. Les yeux brillaient de l’intelligence mystique. Ses traits étaient réguliers et austères ; le corps, svelte, résistait au pli des années : il savait porter sa longue soutane. Ses paroles, empreintes de science et de douceur, étaient soutenues par une voix bien timbrée, sortie d’excellents poumons. Il me paraissait enfin d’une santé vigoureuse : les années l’avaient fort peu atteint.

Il me fit venir dans son petit salon-bibliothèque.

Le manque de sommeil, en voyage, prédispose au frisson ; la soirée était d’un froid vif, avant-coureur de l’hiver. Aussi, lorsqu’une brassée de sarments flamba devant mes genoux, entre deux ou trois rondins, j’éprouvai quelque réconfort.

Les pieds sur les chenets, et accoudés en nos deux fauteuils de cuir bruni, nous parlâmes naturellement de Dieu.

J’étais fatigué : j’écoutais, sans répondre.

— Pour conclure, me dit Maucombe en se levant, nous sommes ici pour témoigner, — par nos œuvres, nos pensées, nos paroles et notre lutte contre la Nature, — pour témoigner si nous pesons le poids.

Et il termina par une citation de Joseph de Maistre : « Entre l’Homme et Dieu, il n’y a que l’Orgueil. »

— Ce nonobstant, lui dis-je, nous avons l’honneur d’exister (nous, les enfants gâtés de cette Nature) dans un siècle de lumières ?

— Préférons-lui la Lumière des siècles, répondit-il en souriant.

Nous étions arrivés sur le palier, nos bougies à la main.