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souri. Le « je me bats pour ma mère » surtout, je trouvais cela d’un toc et d’un démodé à faire mal. — C’était infect. Je voyais la chose en scène ! Le public se serait tenu les côtes. Je déplorais l’inexpérience théâtrale de ce pauvre Raoul, et j’allais le dissuader de ce que je prenais pour le plan mort-né du plus indigeste des ours, lorsqu’il ajouta :

— J’ai en bas Prosper, un ami de Bretagne : il est venu de Rennes avec moi — Prosper Vidal ; il m’attend dans la voiture devant ta porte. — À Paris, je ne connais que toi seul. — Voyons : veux-tu me servir de second ? Les témoins de mon adversaire seront chez moi dans une heure. Si tu acceptes, habille-toi vite. Nous avons cinq heures de chemin de fer d’ici Erquelines.

Alors, seulement, je m’aperçus qu’il me parlait d’une chose de la vie ! de la vie réelle ! — Je restai abasourdi. Ce ne fut qu’après un temps que je lui pris la main. Je souffrais ! Tenez, je ne suis pas plus friand de la lame qu’un autre ; mais il me semble que j’eusse été moins ému s’il se fût agi de moi-même.

— C’est vrai ! on est comme ça !… s’écrièrent les convives, qui tenaient à bénéficier de la remarque.

— Tu aurais dû me dire cela tout de suite !… lui répondis-je. Je ne te ferai pas de phrases. C’est bon pour le public. Compte sur moi. Descends, je te rejoins.

(Ici D*** s’arrêta, visiblement troublé par le souvenir des incidents qu’il venait de nous retracer.)

— Une fois seul, continua-t-il, je fis mon plan, en