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accoururent de tous côtés, et leurs trompettes, envoyant des cris lugubres, réveillaient en sursaut les citadins de ce quartier populeux. D’innombrables pas précipités retentissaient sur les trottoirs : la foule encombrait la grande place du Château-d’Eau et les rues voisines. Déjà les chaînes s’organisaient en hâte. En moins d’un quart d’heure un détachement de troupes formait cordon aux alentours de l’incendie. Des policiers, aux lueurs sanglantes des torches, maintenaient l’affluence humaine aux environs.

Les voitures, prisonnières, ne circulaient plus. Tout le monde vociférait. On distinguait des cris lointains parmi le crépitement terrible du feu. Les victimes hurlaient, saisies par cet enfer, et les toits des maisons s’écroulaient sur elles. Une centaine de familles, celles des ouvriers de ces ateliers qui brûlaient, devenaient, hélas ! sans ressource et sans asile.

Là-bas, un solitaire fiacre, chargé de deux grosses malles, stationnait derrière la foule arrêtée au Château-d’Eau. Et, dans ce fiacre, se tenait Esprit Chaudval, né Lepeinteur, dit Monanteuil ; de temps à autre il écartait le store et contemplait son œuvre.

— Oh ! se disait-il tout bas, comme je me sens en horreur à Dieu et aux hommes ! — Oui, voilà, voilà bien le trait d’un réprouvé !…

Le visage du bon vieux comédien rayonnait.

— Ô misérable ! grommelait-il, quelles insomnies vengeresses je vais goûter au milieu des fantômes de mes victimes ! Je sens sourdre en moi l’âme des Néron, brûlant Rome par exaltation d’artiste ! des