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mettre au chef d’orchestre la volumineuse partition en litige. Celui-ci l’ouvrit, y jeta les yeux, tressaillit et déclara que l’ouvrage lui paraissait inexécutable à l’Académie de musique de Paris.

— Expliquez-vous, dit le directeur.

— Messieurs, reprit le chef d’orchestre, la France ne saurait prendre sur elle de tronquer, par une exécution défectueuse, la pensée d’un compositeur… à quelque nation qu’il appartienne. — Or, dans les parties d’orchestre spécifiées par l’auteur, figure… un instrument militaire aujourd’hui tombé en désuétude et qui n’a plus de représentant parmi nous ; cet instrument, qui fit les délices de nos pères, avait nom jadis : le Chapeau-chinois. Je conclus que la disparition radicale du Chapeau-chinois en France nous oblige à décliner, quoique à regret, l’honneur de cette interprétation.

Ce discours avait plongé l’auditoire dans cet état que les physiologistes appellent l’état comateux. — Le Chapeau-chinois !! — Les plus anciens se souvenaient à peine de l’avoir entendu dans leur enfance. Mais il leur eût été difficile, aujourd’hui, de préciser même sa forme. — Tout à coup, une voix articula ces paroles inespérées : « Permettez, je crois que j’en connais un. » Toutes les têtes se retournèrent ; le chef d’orchestre se dressa d’un bond : « Qui a parlé ? » — « Moi, les cymbales », répondit la voix.

L’instant d’après, les cymbales étaient sur la scène entourées, adulées et pressées de vives interrogations. — Oui, continuaient-elles, je connais un vieux