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Déjà, comme il touchait à la zone où le soleil jetait ses derniers rayons sur le centre de la montagne, on distinguait son grand manteau enroulé autour de son corps ; l’homme était tombé en route, car son manteau était tout souillé de fange, ainsi que son bâton. Ce ne pouvait être un soldat : il n’avait pas de bouclier.

Un morne silence accueillit cette vision.

De quel lieu d’horreur s’enfuyait-il ainsi ? — Mauvais présage !

— Cette course n’était pas digne d’un homme. Que voulait-il ?

— Un abri ?… On le poursuivait donc ? — L’ennemi, sans doute ? — Déjà ! — déjà !…

Au moment où l’oblique lumière de l’astre mourant l’atteignit des pieds à la tête, on aperçut les cnémides.

Un vent de fureur et de honte bouleversa les pensées. On oublia la présence des vierges, qui devinrent sinistres et plus blanches que de véritables lis.

Un nom, vomi par l’épouvante et la stupeur générales, retentit. C’était un Spartiate ! un des Trois-Cents ! On le reconnaissait. — Lui ! c’était lui ! Un soldat de la ville avait jeté son bouclier ! On fuyait ! Et les autres ? Avaient-ils lâché pied, eux aussi, les intrépides ? — Et l’anxiété crispait les faces. — La vue de cet homme équivalait à la vue de la défaite. Ah ! pourquoi se voiler plus longtemps le vaste malheur ! Ils avaient fui ! Tous !… Ils le suivaient ! Ils allaient