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Le vent se plaignait dans les rocheuses ravines, entre les sapins qui se ployaient et craquaient, confondant leurs branches nues, pareilles aux cheveux d’une tête renversée avec horreur. La Gorgone courait dans les nuées, dont les voiles semblaient mouler sa face. Et la foule, couleur d’incendie, s’entassait dans les embrasures en admirant l’âpre désolation de la terre sous la menace du ciel. Cependant, cette multitude aux bouches sévères se condamnait au silence à cause des vierges. Il ne fallait pas agiter leur sein ni troubler leur sang d’impressions accusatrices envers un homme d’Hellas. On songeait aux enfants futurs.

L’impatience, l’attente déçue, l’incertitude du désastre, alourdissaient l’angoisse. Chacun cherchait à s’aggraver encore l’avenir, et la proximité de la destruction semblait imminente.

Certes, les premiers fronts d’armées allaient apparaître, dans le crépuscule ! Quelques-uns se figuraient voir, dans les cieux et coupant l’horizon, le reflet des cavaleries de Xerxès, son char même. Les prêtres, tendant l’oreille, discernaient des clameurs venues du nord, disaient-ils, — malgré le vent des mers méridionales qui faisait bruire leurs manteaux.

Les balistes roulaient, prenant position ; on bandait ses scorpions et les monceaux de dards tombaient auprès des roues. Les jeunes filles disposaient des brasiers pour faire bouillir la poix ; les vétérans, revêtus de leurs armures, supputaient, les bras croisés, le nombre d’ennemis qu’ils abattraient avant de tomber ;