Page:Villetard de Laguérie - Contes d'Extrême-Orient, 1903.pdf/20

Cette page n’a pas encore été corrigée
15
le vieillard qui fait fleurir les arbres morts

mes jeunes nobles les histoires du passé que tu contais devant mon père, et qui feront d’eux de dignes dépositaires de Yamato Damashi et de dignes continuateurs de la prouesse de leurs ancêtres. »

Et remontant à cheval, Saïgo gravit au pas, perdu dans ses pensées, le raidillon qui escaladait le revers opposé du vallon.

Le vent s’était levé et fraîchissait de plus en plus à mesure que diminuait la longueur de la montée. Au moment où l’escadron rassemblé couronnait le terre-plein du col, un éclair jaillit en coup de Kriss, avec un roulement de tonnerre formidable et, pressée en nappes de cascade, la pluie se précipita. En quelques minutes le sentier devint torrent. Sur les pierres roulées par les eaux sauvages, les chevaux glissaient, bronchaient. Le vent, dont la vitesse et la force augmentaient à chaque seconde, battait de rafales aveuglantes hommes et animaux, réduits à tâtonner sur l’étroite corniche qui longeait la vallée très creuse du Kagochima-gawa, à l’extrémité de laquelle, en temps ordinaire, apparaissaient la ville et la perspective du long goulet qui la relie au Pacifique. Heureusement la falaise entaillée par la route offrait partout des retraits sous ses surplombs, et tout l’escadron put s’abriter dans le plus spacieux, juste à temps.

La pluie, maintenant pulvérisée en fumée par les furieuses bouffées du vent, prolongeait jusque dans la vallée le floconnement livide de l’horizon, où l’œil ne distinguait plus ni la côte ni la mer, malgré les nappes de lumière fulgurante d’éclairs ininterrompus. Au ciel convulsé filaient, dans la direction du large, des bancs de nuages effilochés, déchiquetés, dispersés et reformés instantané- ment, attirés, semblait-il, vers une profondeur violette,