Page:Villetard de Laguérie - Contes d'Extrême-Orient, 1903.pdf/16

Cette page n’a pas encore été corrigée
11
le vieillard qui fait fleurir les arbres morts

admis qu’une puissance surnaturelle la lui avait ouverte à point nommé.

Cette fois la coïncidence était si précise, entre des pro- jets vaguement conçus, mal définis, qu’il s’avouait à peine à lui-même, et ces lambeaux d’une idée, transfigurés par leur forme en un oracle énigmatique et menaçant, qu’il demeura stupéfait, les yeux rivés aux bizarres hiéroglyphes. Puis, cessant peu à peu de les fixer, comme s’il regardait plus loin qu’eux et à travers eux dans une ombre de mystère, à mesure que le contre-coup de l’étonnement engourdissait en lui l’attention, il tomba dans une rêverie si profonde qu’il n’entendit même pas le tumulte de la charge lancée à fond de train sur la pente du vallon par ses élèves, accourant au bruit du coup de feu, et de leur rassemblement derrière lui, au bord du cours d’eau.

Son « betto » le rappela à la conscience en venant se prosterner à ses pieds. Il désigna alors, d’un simple geste, le pan de verdure déchirée, l’herbe broyée sous les pattes des chiens, quelques taches de sang sur les stèles, et remontant à cheval, sans dire un mot, contre son habitude, après un coup d’œil au ciel, il donna le signal du retour à Kagochima.

Reprise par la discipline militaire, toute la menée des Samouraïs suivait au grand trot une route étroite et poudreuse, à flanc de coteau le plus souvent, pour gagner le versant opposé de l’épi montagneux incliné vers Kagochima. Elle pressait l’allure, car le ciel se couvrait à l’ouest d’un amoncellement d’énormes nuages violets et cuivreux. Dans les champs, dans les broussailles, paysans et paysannes, reconnaissant de loin le cliquetis d’acier et le rythme nettement cadencé de la marche de l’esca-