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LE TEMPS

Je consultai toutes les Puissances infernales pour trouver le moyen de tourner cet engagement en équivoque, sans en pouvoir tirer aucun avantage ; mais mon intérêt me rendant plus inventif que l’enfer, j’imaginai un expédient qui lui étoit échappé ; ce fut aux ordres qu’en mourant, mon pere lui-même m’avoit donnés, de transformer les hommes, que j’en dus l’invention. Je rendis aussi-tôt la forêt, qu’il avoit fait devenir impraticable, plus facile à parcourir qu’elle n’étoit ci-devant difficile, & j’en embrouillai les routes d’une telle force, qu’il est impossible d’en sortir sans voir ce Palais, dont la beauté attire ceux qui se sont épuisés de fatigue, & qui se croient trop heureux d’y venir goûter quelque repos.

Mon projet eut un plein effet, &, par son secours, j’eus des prisonniers tant que j’en voulus ; mais ce n’étoit pas encore assez pour acquérir le droit de m’en repaître. Ne pouvant manger d’hommes tels qu’ils étoient, je les changeai en bêtes propres à la nourriture humaine, & je fus en état de me repaître des premiers, sans obstacle, & sans retardement. Mais le nombre en devint trop grand pour les manger tous à la fois, & la prudence me conseillant d’en garder pour le besoin à