Page:Villeneuve - Le Temps et la patience, tome 2.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
ET LA PATIENCE.

Magiciens, ils sont aussi bornés, & n’ont pas des connoissances plus étendues que les autres hommes. Ne voyant que la beauté de celle qui le charmoit, il la prit pour une femme de l’espece ordinaire ; cependant c’étoit une Ogresse, de cette race qu’on nomme Anthropophage. Le Palais où nous sommes lui appartenoit, & les alentours en étoient fort habités ; mais aussi-tôt que l’on eut appris qu’elle étoit mariée à un Magicien, quoique l’on n’ignorât pas qu’il n’employoit point sa science à faire du mal, on se défia du pouvoir qu’elle auroit sur son esprit ; & pour éviter les maux que la magie & la cruauté jointes ensemble pourroient causer, le Pays devint désert : ce qui fit bien du chagrin à ma mere ; car, tandis qu’elle étoit fille, elle prenoit souvent divers déguisements, sous lesquels, parcourant les chemins des alentours, elle surprenoit adroitement un grand nombre de malheureux, qu’elle dévoroit.

Loin de la seconder, pour contenter cet appétit singulier, mon pere, qui avoit un tel goût en horreur, voyant qu’il ne pouvoit obtenir de sa femme qu’elle y renonçât, fut ravi de ce que ses voisins s’éloignoient volontairement, & leur aida encore à mettre obstacle à ce goût fatal,