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LE TEMPS

en la nourrissant bien, tu aurois pu la conserver quelque temps : mais puisqu’elle est chevre, elle restera chevre : cependant, pour te prouver que je suis bon Maître, je te promets que tu ne la verras pas tuer, & que je ne la mangerai point tant que tu vivras : lorsque tu ne seras plus, il te doit peu importer ce qu’elle deviendra. Contente-toi de ce que j’ai la bonté de t’accorder, dit-il d’un ton d’impatience, en voyant que j’allois continuer mes supplications ; car si tu me repliques davantage, je vais la prendre par les pieds, & l’écraser contre la muraille.

Cette cruelle menace m’ayant imposé silence, je fus obligée d’accepter la triste grace qu’il m’offroit. Prends ta chevre, & me suis, continua-t-il, je vais la mettre dans l’endroit où je tiens les bestiaux que je ne veux pas tuer. Sitôt j’obéis ; & prenant l’infortunée Zelima entre mes bras, je la portai au lieu où vous l’avez vue avec vos freres, sans qu’elle donnât aucun signe de vie.

J’ai toujours vécu depuis auprès du barbare Angoulmouëk, & j’ai eu presque tous les jours la douleur de lui voir égorger quelques-unes des bêtes de ce troupeau raisonnable, & le creve-cœur d’en voir souvent arriver d’autres dans cette