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LE TEMPS

tout à la fois les yeux & la griffe sur Zelima ; sois une bonne chevre, continua-t-il, j’aime cette chair à la folie. La malheureuse Princesse voulut pousser un cri, mais ce ne put être qu’un bêlement de l’animal dont elle avoit déjà la forme. Quant à moi, la peur m’avoit tellement saisie, qu’il me fut impossible de parler, & je tombai par terre remplie d’effroi.

Cet infame, s’étant assuré de la sorte de la triste Zelima, vint à moi, & me tâtant, il me regarda avec dégoût : Tu ne vaux rien à manger, me dit-il, tu es trop maigre & trop vieille pour engraisser ; cependant je te conserverai la vie si tu veux me servir ; car la vieille Esclave que j’avois est morte depuis peu, & je suis réduit à m’en passer. Vois, continua-t-il, si ma proposition t’accommode : je t’offre l’alternative ; tu n’as qu’à l’accepter, ou je te jetterai tout-à-l’heure par-dessus les murs de mon Palais ; car tu ne dois pas espérer d’en sortir autrement, pour te mettre en état d’aller détourner les passants que mon bonheur conduit ici.

Il n’y avoit point à balancer sur le choix, continua la vieille Esclave, & l’effroi qui m’avoit privée de la voix, me la rendit à cette menace : Seigneur, lui dis-je, en faisant un effort pour me prosterner à ses