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LE TEMPS

fis de terribles sur mon imprudence, me représentant le danger où j’étois exposée, si, suivant la vraisemblance, vous alliez redire ce que je vous avois si indiscrétement appris. La peur que j’en eus me saisit à un tel point, qu’appréhendant justement d’être punie, je n’imaginai pas qu’il y eût d’autre parti pour moi que celui de la fuite ; &, sans savoir où je voulois aller, je sortis d’Angole, après avoir vendu le peu de meubles que j’avois ; d’où voyageant à l’aventure, je traversai des bois, des plaines, des déserts, & je marchai tant qu’enfin je me trouvai un matin au sortir d’une forêt où j’avois passé la nuit, & où je fus abordée par une belle jeune fille, qui, m’invitant à m’asseoir, se mit auprès de moi, en me regardant d’un air obligeant : Qui êtes-vous, bonne mere, me dit-elle d’une voix gracieuse, & que faites-vous ainsi seule dans un endroit si écarté ?

Hélas ! belle Dame, lui répondis-je, je cherche à me rendre dans mon Pays, d’où je suis éloignée depuis long-temps par un cruel esclavage. Mais vous-même, repris-je à mon tour, que faites-vous ? Il est plus singulier que vous y soyez, qu’une malheureuse Esclave telle que moi. La richesse de vos vêtements