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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

de Jules Simon (Premières Années, p. 191), Maxime Du Camp (Souvenirs littéraires, 1882, I, p. 110), H. Berlioz (lettre à Humbert Ferrand, d’avril ou mai 1835), Labiche (lettre à Leveaux) ; des sympathies apitoyées comme celle de George Sand qui sort en larmes du théâtre, et qui tient à le rappeler dans sa Lettre d’un Voyageur du 26 avril (Revue des Deux-Mondes du 15 juin), une ballade d’Émile Deschamps, un sonnet d’Émile Péhant, etc.

Comme le dira Sainte-Beuve, ce succès d’émotion fit de Vigny « le patron réel, le discret consolateur » de toute une jeunesse inquiète, souffrant du réalisme d’une société que les intellectuels avaient pourtant appelée de leurs vœux. C’est en sortant du théâtre qu’un philanthrope, de Maillé La Tour-Landry, eut l’idée de fonder à l’Académie un prix qui porte son nom : écho touchant de cette émotion.

L’ovation qui, dix minutes durant, salua les interprètes et le nom de l’auteur, « les hommes battant des mains, les femmes agitant leur mouchoir » ; les trente-sept représentations qui, presque d’affilée, permirent à un public nombreux d’applaudir ces pathétiques créations du poète, les tournées en province et l’écho presque immédiat à l’étranger — tous ces indices témoignent d’une « folie de succès » dont s’indignent les esprits rassis de l’époque. Cet accord, la presse ne permet pas de le vérifier d’une façon unanime : tandis que, pour l’expérience du More de Venise, la critique intelligente défendait volontiers le poète que le public n’était pas prêt à suivre, on sent, pour Chatterton, une résistance des journaux et revues — sauf si le romantisme leur est particulièrement cher — en face de l’élan sans condition d’une grande partie du public.

C’est toute une histoire, en particulier, que l’attitude du périodique dont Buloz avait pris la direction depuis peu. Bien que, le 15 janvier, elle eût annoncé la pièce comme une « tentative hardie de réaction spiritualiste au théâtre », la Revue des Deux Mondes du 15 février 1835, par la plume de G. Planche, avait opposé une fin de non-recevoir presque immédiate au plaidoyer dramatique de Vigny. Sans doute, « l’analyse est savante, inépuisable, courageuse, ingénieuse en ressources » ; mais en reprenant les détails de l’action pour leur donner une autre tournure, le critique s’efforce de bien prouver que la pièce ne progresse que grâce à des invraisemblances et des silences contestables. « Drame spiritualiste et inactif », Chatterton démontre que son auteur n’est pas fait pour le théâtre. Bien plus ! « À jouer des rôles comme Kitty Bell, Mme Dorval finirait par appauvrir ses facultés oisives, et pour atteindre jusqu’à elle, M. de Vigny court le risque