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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

actes et en vers, avait été reçue en 1828 à l’Odéon et arrêtée par la Censure. Non sans hâte, l’auteur d’Othello, qui voit plusieurs de ses émules passer par la brèche qu’il a faite et planter leur bannière en avant de son propre étendard, veut justifier une initiative plus personnelle. La chute de Charles X semble aviver son inspiration, l’attirer aussi du côté des interprétations audacieuses de l’histoire, de sa justice immanente, de ses troublantes vicissitudes : le 2 août 1830, en plein tumulte de révolution, le poète commence à écrire sa pièce, la termine provisoirement le 27 septembre, et pour de bon le 30 octobre.

L’idée mère, note le Journal à l’heure du procès des ministres de Charles X, est « l’abolition de la peine de mort en matière politique », « un exemple d’assassinat juridique par la Cour » ; ce sera « une page d’histoire sur le théâtre ». À vrai dire, la fatalité qui venait en trois jours d’emporter la branche aînée des Bourbons, restaurée après tant d’efforts, ne laisse pas de peser d’un poids singulier sur la conception historique dont Vigny veut donner, dans un drame, une transcription concrète : un talion mystérieux, ici pressenti par la superstition florentine, opère dans la destinée des puissants. L’auteur de Cinq-Mars, sous l’effet de ces idées, ne s’est guère remis à l’étude de ses documents historiques. On ne voit pas d’autre rapprochement certain avec les Mémoires de Retz que le duel de Coutenan et Gondi (Grands Écrivains, I, p. 204) qui inspire le duel de Concini avec Borgia (V, 12).

Cependant Vigny semble avoir repris les Mémoires de Sully, pratiqué l’écrit anonyme de P. Dupuy, Histoire des plus illustres favoris anciens et modernes, avec un journal de ce qui s’est passé à la mort du mareschal d’Ancre (Leide, 1659). Il connaît le Courier picard de 1615. Un roman historique de L. de Sabaroth, Marie de Médicis (1827), faisait intervenir une prédiction de Bohémienne et même une apparition du Juif-Errant. Avec sa vive initiation shakespearienne si récente, Vigny ne pouvait manquer d’être pénétré de réminiscences fort durables : c’est ainsi que le souvenir de lady Macbeth s’est de bonne heure imposé pour le personnage principal, ou que la scène de jalousie (IV, 1) rappelle le heurt d’Iago et d’Othello. Mais la destinée, dans les pièces historiques de Shakespeare, est davantage fondée sur les caractères et les tempéraments, moins extérieure et mécanique : la progression d’un grand événement, malgré l’effort de philosophie du poète français, a ici quelque chose d’artificiel. Vigny ne se défend pas contre les séductions du « drame fataliste » que les environs de 1830 avaient