Page:Vigny - Théâtre, II, éd. Baldensperger, 1927.djvu/327

Cette page a été validée par deux contributeurs.
317
CHATTERTON.

KITTY BELL.

Et si jeune ! est-ce possible ? Ah ! vous ne voulez pas me répondre, et vous avez tort, car jamais je n’oublie un mot de vous. Ce matin, par exemple, ici même, ne m’avez-vous pas dit que rendre à un malheureux un cadeau qu’il a fait, c’est l’humilier et lui faire mesurer toute sa misère ? — Aussi je suis bien sûre que vous ne lui avez pas rendu sa Bible ? N’est-il pas vrai ? avouez-le.

LE QUAKER, lui donnant sa Bible lentement,
en la lui faisant attendre.

Tiens, mon enfant, comme c’est moi qui te la donne, tu peux la garder.

KITTY BELL.
Elle s’assied à ses pieds à la manière des enfants qui demandent une grâce.

Oh ! mon ami, mon père, votre bonté a quelquefois un air méchant, mais c’est toujours la bonté la meilleure. Vous êtes au-dessus de nous par votre prudence ; vous pourriez voir à vos pieds tous nos petits orages que vous méprisez, et cependant, sans être atteint, vous y prenez part ; vous en souffrez par indulgence, et puis vous laissez tomber quelques mots, et les nuages se dissipent, et nous vous rendons grâces, et les larmes s’effacent, et nous sourions, parce que vous l’avez permis.

LE QUAKER l’embrasse sur le front.

Mon enfant ! ma chère enfant ! avec toi, du moins, je suis sûr de n’en avoir pas de regret. (On parle.) — On vient !… Pourvu que ce ne soit pas un de ses amis. — Ah c’est ce Talbot, j’en étais sûr.

On entend le cor de chasse.