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paris

Il arrache son sein et ses cheveux, s’enfonce
Dans l’énigme sans fin dont Dieu sait la réponse,
Et dont l’humanité, demandant son décret,
Tous les mille ans rejette et cherche le secret.
Chacun d’eux pousse un cri d’amour vers une idée.
L’un[1] soutient en pleurant la croix dépossédée[2],
S’assied près du sépulcre et seul, comme un banni[3],
Il se frappe en disant : Lamma Sabacthani ;
Dans son sang, dans ses pleurs, il baigne, il noie, il plonge
La couronne d’épine et la lance et l’éponge,
Baise le corps du Christ, le soulève, et lui dit :
« Reparais, Roi des Juifs, ainsi qu’il est prédit ;
Viens, ressuscite encore aux yeux du seul apôtre.
L’Église meurt : renais dans sa cendre et la nôtre,
Règne, et sur les débris des schismes expiés,
Renverse tes gardiens des lueurs de tes pieds. »
— Rien. Le corps du Dieu ploie aux mains du dernier homme,
Prêtre pauvre et puissant pour Rome et malgré Rome.
Le cadavre adoré de ses clous immortels
Ne laisse plus tomber de sang pour ses autels ;
— Rien. Il n’ouvrira pas son oreille endormie
Aux lamentations du nouveau Jérémie[4],
Et le laissera seul, mais d’une habile main,
Retremper la tiare en l’alliage humain.
— Liberté ! crie un autre[5], et soudain la tristesse
Comme un taureau le tue aux pieds de sa déesse[6].

  1. M. l’abbé de Lamennais.
  2. Var : O, B, C1, la note manque.
  3. Var : D, S’assied près d’un sépulcre,
  4. Var : O, B-C2, Rien. — Il n’ouvrira pas
  5. Benjamin Constant.
  6. Var : O, B-C1, la note manque.