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le trappiste

Forme autour des cheveux une mâle couronne,
Et la corde légère, avec des nœuds puissants.
S’est tressée en sandale à leurs pieds bondissants.
Le silence est profond dans la foule attentive ;
Car la hache pesante, avec la flamme active,
D’un chêne que cent ans n’ont pas su protéger
Ont fait pour leur prière un autel passager.



Là ce chef dont le nom sème au loin l’épouvante[1]
Dépose devant Dieu son oraison fervente ;
Triomphateur sans pompe, il va d’une humble voix
Chanter le Te Deum sous le dôme des bois.
Est-ce un guerrier farouche ? est-ce un pieux apôtre ?

  1. Le héros du poème de Vigny était en 1822 un des chefs les plus populaires du parti royaliste eu Catalogne, et un des meneurs de l’insurrection qui aboutit, grâce à l’intervention française, à la restauration de Ferdinand VII dans ses droits de monarque absolu. Le vicomte de Martignac, dans son Essai historique sur la révolution d’Espagne, Paris, 1832, t. I, p. 598, et Chateaubriand, au ch. XI du Congrès de Vérone, ont tracé le portrait de ce moine soldat. Voici celui qu’en donnait le Moniteur du 15 juin 1832 : « Il se nomme Maragnon, fut lieutenant à la suite du régiment de Murcie. En 1817 son régiment reçut ordre de venir de Calatayud, où il était en garnison, à Barcelone. À son passage à 1erida, il joua, et perdit tout son argent, engagea tout ce qu’il possédait, même ses brevets, et retourna au jeu où il perdit tout encore. Honteux de sa conduite, il déserta et fut se cacher au couvent de la Trappe, où il fut admis. Lors de la suppression de cet ordre, il se rendit en France… Il y a un mois et demi, et au plus deux mois qu’il eu revint… Avant d’entrer au combat, il se met à genoux pour dire ses prières, et se met ensuite à la tête des siens avec une intrépidité extraordinaire. » Les journaux de 1822 et de 1825 sont pleins de détails sur sa personne et sur ses exploits. Vers la fin de novembre 1822, il séjourna à Toulouse, où sa présence fit sensation, et le 1er avril 1823 il eut, à Bayonne, l’honneur d’être présenté au duc d’Angoulême. Outre le poème de Vigny, il inspira quelques pièces de circonstance, entre autres Le Trappiste, élégie héroïque, lue à la Société des Bonnes Lettres dans sa séance du 18 avril 1823, par Ernest de Blosseville (Annales de la Littérature et des Arts, tome XI, 1823), et Don Antonio de Maragnon, par Madame Caroline de M… (Lettres Champenoises, tome XII, 1823).