Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
189
le cor

L’armée applaudissait. Le luth du troubadour
S’accordait pour chanter les saules de l’Adour ;
Le vin français coulait dans la coupe étrangère ;
Le soldat, en riant, parlait à la bergère.

Roland gardait les monts ; tous passaient sans effroi[1].
Assis nonchalamment sur un noir palefroi
Oui marchait revêtu de housses violettes,
Turpin disait, tenant les saintes amulettes :

« Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu ;
» Suspendez votre marche ; il ne faut tenter Dieu.
» Par monsieur saint Denis, certes ce sont des âmes[2]
» Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.

» Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor. »
Ici l’on entendit le son lointain du Cor[3]. —
L’Empereur étonné, se jetant en arrière.
Suspend du destrier la marche aventurière.

« Entendez-vous ? dit-il. — Oui, ce sont des pasteurs
» Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs,
» Répondit l’archevêque, ou la voix étouffée[4]
» Du nain vert Obéron qui parle avec sa Fée. »

Et l’Empereur poursuit ; mais son front soucieux
Est plus sombre et plus noir que l’orage des cieux.
Il craint la trahison, et, tandis qu’il y songe[5].
Le Cor éclate et meurt, renaît et se prolonge.

  1. Var : O, Rolland
  2. Var : O, P2, Par le grand saint Denis,
  3. Var : O, cor.
  4. Var v. 67-68 : O, ou les voix étouffées | Du nain vert Oberon qui parle avec les fées. » P2, Oberon P2, A, fée. »
  5. Var v. 71-72 : O, P2, Il redoute en secret les trahisons du Maure (P2, More). | Le cor (P2, Cor) éclate et meurt, se tait et sonne encore.