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la prison


Le prêtre regardait le malheureux célèbre ;
Mais ce cachot tout plein d’un appareil funèbre[1],
Et cette mort voilée, et ces longs cheveux blancs,
Nés captifs et jetés sur des membres tremblants[2].
L’arrêtèrent longtemps en un sombre silence.
Il va parler enfin ; mais tandis qu’il balance.
L’agonisant du lit se soulève et lui dit :
« Vieillard, vous abaissez votre front interdit[3],
Je n’entends plus le bruit de vos conseils frivoles,
L’aspect de mon malheur arrête vos paroles[4].
Oui, regardez-moi bien, et puis dites après
Qu’un Dieu de l’innocent défend les intérêts ;
Des péchés tant proscrits, où toujours l’on succombe.
Aucun n’a séparé mon berceau de ma tombe ;
Seul, toujours seul, par l’âge et la douleur vaincu[5].
Je meurs tout chargé d’ans, et je n’ai pas vécu[6].
Du récit de mes maux vous êtes bien avide :
Pourquoi venir fouiller dans ma mémoire vide,
Où, stérile de jours, le temps dort effacé ?
Je n’eus point d’avenir et n’ai point de passé ;
J’ai tenté d’en avoir ; dans mes longues journées[7].
Je traçais sur les murs mes lugubres années ;

  1. Var : M, 1er main, Mais cet étroit cachot, cet appareil funèbre, 2e main, texte actuel.
  2. Var : M, 1er main, Qui répandus 2e main, texte actuel.
  3. Var : M, (O biffé) Vieillard, à mon aspect (corr. : vous abaissez) votre front interdit,
  4. Var : (M, ?) P1, L’aspect de mon malheur fait taire vos paroles.
  5. Var : M, Quand vous autres vivants faisiez des attentats, P1, Quand les vivants au jour montraient des attentats,
  6. Var : M, P1, Mon enfance au cachot ne les soupçonnait pas.
  7. Var v. 153-154 : (M, ?) P1, J’ai tenté d’en avoir, et long-temps mes journées | Ont tracé