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Roméo (se rapprochant de son amie, lui prenant les mains). — Pardon, Juliette, j’ai tort évidemment. Mais je trouve ces pastels tellement saugrenus. Enfin… ( Il lui baise les doigts).

(Un silence). Juliette ! Ne veux-tu pas te lever ?

Juliette. — Tout à l’heure, mon ami.

Roméo pérégrine à nouveau dans la chambre. Il fume d’un air désœuvré, ennuyé, baille, lime ses ongles, consulte sa montre :

Roméo (à voix basse). — Trois heures moins vingt-cinq ! Voilà notre partie de canotage dans le lac. Dieu, que cette vie est agaçante !

(Les dents serrées, courroucé). Juliette ! veux-tu te lever !

Juliette (ahurie). — Plaît-il ?

Roméo. — Je te dis de te lever.

Juliette. — Mais, mon chéri, je suis un peu lasse, permets-moi de reposer encore un moment… rien qu’un quart d’heure. Vraiment, je t’assure que je suis très lasse.

Roméo (brusquement). — Tu es très lasse, tu es très lasse ! Moi aussi, je suis très las et avec plus de raison que toi. Il me semble que j’ai conquis suffisamment de droits au sommeil. Ce qui ne m’empêche pas… (Il cambre son torse et assume un port de tête arrogant).

Juliette. — Oh ! vantard ! on croirait que tu paonnes devant des badauds. Penses-tu peut-être m’en imposer par tes discours : je les connais bien tes… exploits.

Roméo (pincé). — Ils ne te suffisent pas. Tu devrais me remplacer par un hercule de foire.

Juliette (pouffant). — Ton choix n’est pas ingénieux, cher, ils sont tous castrats.

Ils rient ensemble. Roméo persuade à son amante de sortir du lit. Mignardises diverses : Juliette tendre, Roméo sobre, contenu sans doute, peut-être un peu distrait. Bien éduqué, néanmoins, il prend Juliette dans ses bras, la promène ainsi quelques pas, non sans effort, puis la campe en pieds sur le tapis, fort essouflé.

Juliette (avec intérêt). — Tu es fatigué, mon petit Roméo ?