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PORTRAITS JAUNES

Le Japonais n’affirme rien et répond toujours d’une manière conditionnelle ou dubitative. Les mots les plus répétés sont ceux qui traduisent le fortè, fortasse, forsitan de Lhomond. Demandez, par exemple, à un servant de messe s’il y a encore de la cire, des hosties pour la communion, etc., il vient d’arranger tout et pourrait vous répondre affirmativement ; dix fois pour une il vous dira invariablement :

« Il y en aura sans doute. ! Okata-go-z-arimachôo ! »

Dans le principe, les étrangers ouïes missionnaires ne sont pas faits à ce langage timoré, et ils insistent pour avoir un oui ou un non. Si c’est oui, ce sera toujours peut-être, et on finit par interroger au futur pour la chose du monde la plus actuelle

Ceci posé, on n’a pas idée de l’attention qu’il faut donner à l’explication de la doctrine et de la réforme à faire subir à l’usage, quand on traite des articles de foi. Demandez, je suppose :

« La deuxième personne de la Trinité, le Fils, est-il Dieu ? »

On vous répondra :

« Ça peut bien être ainsi.

— Le Saint-Esprit est-il aussi grand que le Père et le Fils ?

— C’est probable que la chose sera ainsi ! » etc., etc.

Telles sont les réponses que vous obtiendrez infailliblement. Ah ! si Renan avait connu ce genre japonais, il eût encore moins étudié l’hébreu, et il eût composé ses fameux livres en style de l’Empire du Nippon !

Un jour donc qu’un missionnaire de vingt-sept ans faisait le catéchisme à un vieillard des environs de Nagasaky, il écartait tout okata et autre forme semblable, afin d’affirmer nettement et carrément les dogmes immuables de notre religion. Le vieux, japonais renforcé et par conséquent poli, ne dit d’abord rien ; mais quand le Père voulut lui faire rendre compte de sa foi et faire disparaître le malencontreux futur contingent : « C’est probable… sans doute en sera-t-il ainsi… » il s’attira cette première réponse :

« Son Excellence le Père est sans doute très savant ; cependant, depuis hier, je m’étonne de son langage téméraire et je le trouve encore bien jeune pour affirmer de la sorte. »

Je vous laisse à penser l’ébahissement du pauvre mission-